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Mieux vaut Dard que jamais

Frédéric Dard aurait eu cent ans cette année


Mieux vaut Dard que jamais
L'écrivain français Frédéric Dard (1921-2000), photographié ici en 1982 © ROBERT PATRICK/SIPA Numéro de reportage : 00100190_000004

Frédéric Dard, dit San-Antonio, a publié près de 300 livres, traduits dans vingt pays et vendus à plus de 250 millions d’exemplaires. Il est l’écrivain français le plus lu du XXème siècle. S’il ne reposait en paix à Saint-Chef-en-Dauphiné depuis juin 2000, il fêterait cette année son centenaire.


Né à Jallieu (Isère), dans une famille modeste, « Frédéric Dard, dit San-Antonio » est très tôt initié à la lecture par sa grand-mère Claudia. Dès son plus jeune âge, il dévore ainsi quantité de classiques, comme Les Misérables de Victor Hugo, mais aussi des ouvrages qu’on rangerait aujourd’hui dans la « littérature jeunesse », cette étrange catégorie suggérant en creux qu’il en existerait une pour la vieillesse. Les mots faisant dès lors partie de son quotidien, il ne se contente plus de les lire ou d’écouter Claudia les prononcer le soir, il s’en sert pour raconter des histoires de son cru à ses camarades de classe, puis les écrire. L’une d’entre elles, intitulée « Le monocle révélateur », est même publiée dans le numéro 78 du 10 août 1939 de l’illustré Jean-Pierre, sous le pseudonyme de Fred Dysert (« Fréderic d’Isère »).

En France, comme le lui fait un jour comprendre Grancher, pour réussir dans « les Lettres », il faut « monter à Paris ». C’est alors que cet (heureux) Lyonnais d’adoption se résigne à l’exil…

Si son enfance à Saint-Chef-en-Dauphiné (Isère), petit village dans lequel s’est repliée sa famille après la faillite de l’entreprise paternelle, est heureuse, son adolescence lyonnaise, elle, est plus contrastée, du moins dans un premier temps. La capitale des Gaules, ses parents y élisent domicile, pour y chercher du travail. Comme Joséphine-Anna, sa mère, veut que son fils ait un vrai métier, de comptable par exemple, il est envoyé dans une « fabrique d’honnêtes Français moyens » (Frédéric Dard, Le Cirque Grancher, 1947), l’école professionnelle de la Martinière où, de son propre aveu, il ne fait « rien ». Et si son oncle et son père ne s’étaient pas entendus comme larrons en foire pour lui trouver un emploi de journaliste, qui sait ce qu’il serait devenu… Toujours est-il que par l’entremise de son « tonton » Livat et le concours de son paternel Francisque, qui semble mieux le comprendre que sa mère, il fait, à seize ans, la rencontre de sa vie, celle qui lui « a ouvert la porte de l’avenir ». Car, en rencontrant Marcel E. Grancher, qui le recrute d’abord comme garçon coursier, Frédéric Dard ne fait pas seulement la connaissance du directeur du journal Le Mois à Lyon, il met les pieds dans un monde ou plutôt, selon ses mots, un « Cirque », qui va lui faire croiser de sacrés numéros. Parmi eux (Je le jure, 1975), le fantasque Léon Charlaix, qui l’initie à la liberté teintée de dinguerie et le convertit à l’écriture de ce Louis-Ferdinand Céline qui vient de publier Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, ne délire donc pas encore à propos des juifs, comme il le fera dans Bagatelles pour un massacre, Les Beaux draps ou L’école des cadavres.

A lire aussi, Thomas Morales: L’épure de San-Antonio

De l’ombre à la lumière

Ecrivain compulsif, Frédéric Dard écrit. De plus en plus. Des nouvelles. Des articles, bien sûr. Des contes pour enfants, aussi. Des romans, enfin. Il codirige même un temps, en association avec l’imprimeur Joseph Chaverot, les Editions de Savoie, société créée le 14 février 1945. Mais sa « carrière » littéraire ne décolle pas. C’est que, en France, comme le lui fait un jour comprendre Grancher, pour réussir dans « les Lettres », il faut « monter à Paris ». C’est alors que cet (heureux) Lyonnais d’adoption se résigne à l’exil. Avec sa première femme Odette, il quitte Lyon pour la « Ville Lumière », plus exactement la grisaille d’une banlieue résidentielle des Mureaux. Commence alors pour lui une période compliquée. Après sa rencontre avec Robert Hossein, le succès de plusieurs adaptations de romans pour le théâtre, dont La neige était sale de Georges Simenon, il croit un temps voir le bout du tunnel. Mais une remarque de ce dernier, qui déclare dans une soirée du Tout-Paris qu’il n’a « pas d’adaptateur », ainsi qu’une caricature dévastatrice du dessinateur Jacques Faizant à la suite de critiques négatives sur l’une de ses autres adaptations, douchent ses espoirs et le conduisent à renoncer. Il revient alors au roman, qu’il n’avait pas tout à fait abandonné. C’est à cette époque, plus exactement entre 1951 et 1966,  qu’il écrit et signe de son vrai nom ses noirs – très noirs – « romans de la nuit » (Du plomb pour ces demoiselles, 1951 ; Les salauds vont en enfer, 1956 ; Délivrez-nous du mal, 1956 ; Les bras de la nuit, 1956 ; Le bourreau pleure, 1956 ; Cette mort dont tu parlais, 1957, etc). Ecrits avec une plume dépouillée de toute fioriture, fascinants, magnétiques, ceux-ci se vendent, mais moins que ce qui va définitivement le poser comme un grand écrivain et, surtout, un génie de la langue française, qu’il entreprend de bousculer, comme le fit naguère son maître, Louis-Ferdinand Céline. Beaucoup moins, même, que ces aventures du commissaire San-Antonio qui – à sa grande surprise et à son grand désespoir, du moins au début – vont le sortir définitivement de l’ombre, le faire (re)connaître du grand public, et même lui assurer une postérité littéraire, sans avoir à passer par la case de la « gagadémie », ainsi qu’il rebaptisait la vénérable institution créée par le Cardinal de Richelieu au XVIIème siècle.

En 1949, Frédéric Dard, sous le pseudonyme de San-Antonio, avait publié Réglez-lui son compte, la première histoire d’une longue série de 174 épisodes. Après des débuts un peu poussifs et la tentation d’y mettre assez rapidement un point final pour se consacrer (sans succès on l’a vu) au théâtre, les romans narrant les aventures de ce singulier commissaire, que son éditeur des éditions du Fleuve Noir l’avait poussé à continuer, ont peu à peu trouvé leur public, puis connu un certain engouement. Et même au-delà puisque la saga des San-Antonio est devenu un phénomène de société autour duquel se sont mis à communier tous les lectorats possibles. Un phénomène qui s’explique peut-être par le fait que, en dehors du fameux commissaire, d’autres personnages hauts en couleur sont apparus au fil du temps (« Le Vieux », Pinuche, Bérurier, Berthe la Gravosse, Mathias, Jérémie Blanc, Marie-Marie ou encore Salami, « le chien qui pense plus vite que son maître »), qui ont fait de ce qui au départ n’était qu’une série policière de bonne facture un OLNI : un objet littéraire non identifié, plus exactement non identifiable.

2021, une année pas comme les autres

2021 étant en quelque sorte une année anniversaire, hors du commun, beaucoup se sont dit, à juste titre, que c’était là une occasion en or de faire découvrir Frédéric Dard à ceux qui ne le connaîtraient pas encore. Une belle opportunité de ramener sur les devants de la scène littéraire un écrivain dont l’étoile pâlit auprès des jeunes générations, quand elles en ont entendu parler. C’est ce qui a conduit Le Point – du moins préfère-t-on le penser – à sortir au printemps dernier un hors-série qui lui est entièrement consacré (San-Antonio. Personnages, langue, philosophie…), dans lequel on trouve des choses pas inintéressantes et, aussi, des contributions tout à fait dispensables, par exemple celles de Roselyne Bachelot, de Noël Mamère ou de Nicolas Hulot. C’est ce qui a mobilisé, aussi, l’association des Amis de San-Antonio, qui a édité un beau livre, autrement mieux charpenté, fourni en textes de qualité et documenté, et intitulé L’album du siècle 1921 – 2021.

C’est ce qui explique, enfin, l’exhumation fort opportune de nouvelles attribuées à Frédéric Dard (Des nouvelles de moi, Fleuve Eds), de nombreuses rééditions, la parution du dernier tome des Œuvres complètes de San-Antonio (collection  « Bouquins », Robert Laffont). Bref, que les rayons des librairies se trouvent mieux fournies que d’ordinaire. Ce qui n’est pas plus mal car, pour (re)découvrir cet écrivain qui a profondément renouvelé la langue française en s’affranchissant de ses pesanteurs, pour rire et (quelques fois aussi) pleurer avec lui, le mieux est encore de le lire. Car « Frédéric Dard, dit San-Antonio », mérite d’être lu. Toujours. Et même plus que jamais.

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est juriste de formation. Il tient depuis bientôt une année une rubrique consacrée au cinéma sur un site bourguignon d’information en ligne .

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