Si l’affaire DSK a un tel retentissement, c’est peut-être bien parce que la « pulsion » ne cesse de nous poser problème. Mais qu’est-elle, au juste ? Une pression, plus ou moins agréable, que l’on cherche à réduire quand elle est trop haute, à augmenter quand elle est trop basse, en vertu d’un principe dit « de constance ». Le problème, c’est que le principe de constance, eh bien, ça ne nous plaît pas toujours – c’est quand même la porte ouverte à une « vie de fonctionnaire ». C’est rassurant, certes, mais un peu ennuyeux sur les bords…
Et puis, y’a pas que l’économique, dans la vie ; le FMI, nous, ça nous excite moyen.
Et il semblerait que nous ne soyons pas les seuls, comme en témoigne le déferlement médiatique autour de l’affaire DSK. En effet, qu’on se le dise, la pulsion n’existe que par rapport à un fantasme. Ne la cherchez pas au coin de la rue, elle n’y est pas.
La réalité s’appréhende à travers un fantasme de toute-puissance sadique ou maso… La mise en acte, elle, est versée au compte de la pulsion. Le fantasme, qu’on le veuille ou non, ça nous tient au corps, ça nous tient le corps. De là à en faire des folies, il n’y a qu’un pas que nous franchissons tous allègrement, au moins dans nos rêveries les plus inavouables. Et dans cette malheureuse affaire, c’est sans doute de nos constructions mentales les plus inaccessibles, les plus refoulées, les plus inconscientes qu’il s’agit.[access capability= »lire_inedits »]
Le drame DSK réunit tous les ingrédients d’un grand polar à l’américaine: l’argent, le pouvoir, le sexe, la femme noire et pauvre , le juif riche et puissant… Mais pour de vrai et en temps réel. Évidemment, c’est chez l’oncle Sam que ça se passe. Alors bien sûr, ça nous fascine ! L’Amérique, c’est l’Amérique ! DSK l’aimait, il voulait l’avoir, il l’a eue et elle l’a eu.
L’Amérique nous a tous eus. Nous ne savons rien de cette affaire, mais les spéculations vont bon train. La gamme des arguties pseudo-psychanalytiques va du :« DSK est coupable, c’est un acte manqué ! » au «Il a échoué par crainte du succès !»en passant par « C’est son inconscient qui a cédé suite à une lutte féroce entre Éros et Thanatos ! » sans oublier « L’exercice du pouvoir fragilise la capacité de séduction », etc, etc. Il apparaît clairement que la machine à fantasmer (la nôtre) s’en donne à cœur joie ou à cœur triste, c’est selon.
De DSK, on ne peut rien dire, de la sexualité des hommes de pouvoir en général et à la louche, pas davantage. Non, la seule chose dont on peut parler, c’est de notre propre effroi. Et il est incommensurable. Il réveille les traumatismes et suscite les identifications imaginaires et politiques des névrosés apeurés ou des paranos en quête de coupables.
DSK est – on est tenté d’écrire était − en effet un homme public, un homme de la République, un homme de la chose publique. Et à ce titre une chose − das Ding, comme dirait l’autre −, c’est-à-dire, pour aller vite, quelque chose d’inaccessible, tout autant que la Dame pour laquelle les troubadours d’antan se donnaient tant de mal, quand bien même ils ne l’avaient jamais vue et ne la verraient jamais.
Illusion tenace à laquelle on aimerait bien croire autant qu’au Père Noël. Parce que si nous pouvons nous accorder sur le fait que le Père Noël est une ordure, c’est tout simplement parce que nous savons qu’il n’existe pas pour de vrai. Mais quand il s’agit d’un puissant, un peu, beaucoup, mis en place d’idéal mais fait de chair et d’os comme nous, alors là, on n’en revient pas de ce qu’on trouve dans sa hotte !
On peut cependant s’interroger sur ces féministes militantes qui rappellent avec véhémence que les femmes ne cessent d’être harcelées, violentées, méprisées par des hommes tout-puissants. Ces super-professionnelles, super-mamans, super-organisées et super-bien-pensantes, on se demande bien ce qui les fait courir. Elles n’ont pas tort, bien sûr, mais que voulait-elle dire, l’autre jour à la radio, celle qui, après avoir dénoncé la vilénie masculine, prétendait qu’elle n’aurait pas peur de prendre l’ascenseur avec un des journalistes de l’émission ? Le supposait-elle impuissant ?
Elle n’aurait donc jamais éprouvé le frisson qui parcourt l’échine d’une femme quand un homme, quel qu’il soit, mais plus encore quand il est riche et célèbre, jette un regard sur elle ? Ne s’est-elle jamais rendue à un rendez-vous avec le souhait de séduire l’homme qu’elle venait interviewer ? À nier ainsi le désir féminin sous prétexte de ne pas justifier l’intolérable, les féministes vont finir par obliger toutes leurs consœurs à payer la note au resto ! C’est pas que, mais quand même… ça fait quand même un peu partie des avantages en nature qui compensent les disparités salariales.
Reste la question de l’ « addiction » au sexe dont on voudrait affubler certains hommes (comme si les femmes en étaient dépourvues). Il y a là un abus de langage. Dans l’addiction, il y a un objet et la question de savoir si la bouteille est d’accord ou pas ne se pose pas. Dans le sexe, on a affaire à de l’humain, du relationnel, de l’attente imaginée ou réelle et l’humain peut, contrairement à la bouteille, la dose d’héroïne ou la cigarette, ne pas se laisser faire ou se plaindre s’il était menacé. Comme le disait Freud, la bouteille, elle, est dénuée de toute ambivalence …
Oui, la vie peut basculer pour DSK comme pour nous tous, d’un jour à l’autre, d’une minute à l’autre. N’est-ce pas cela qui nous excite, nous fait peur, nous attire ? Et nous rappelle ce par quoi nous sommes déjà passés, au mieux dans nos fantasmes, au pire dans la vraie vie, et que, sans relâche, nous cherchons à oublier ?
L’histoire de DSK, que nous ne pouvons qu’imaginer, c’est l’histoire d’une vie, la vie comme nous la comprenons tous, et nous ressentons peut-être ce qu’écrivait Octave Mirbeau dans sa dédicace à Jules Huret du Journal d’une femme de chambre : « C’est que nul mieux que vous, et plus profondément que vous, n’a senti, devant les masques humains, cette tristesse et ce comique d’être un homme… Tristesse qui fait rire, comique qui fait pleurer les âmes hautes… ».[/access]
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