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Michel Sardou, ultime barde gaulois?

On a le droit d’apprécier le rap. Moi, je préfère la musique...


Michel Sardou, ultime barde gaulois?
Michel Sardou, 1974. © AGIP/Bridgeman Images

Sardou peut avoir ses détracteurs, être sottement accusé d’avoir un « côté scout, sectaire » et de chanter une musique « immonde », dixit la chanteuse à la mode Juliette Armanet, il demeure le visage de la France. Bonhomme, bourru et rouspéteur, il est un Gaulois réfractaire. Et le plus grand vendeur de disques français vivant.


Sardou est probablement l’un des plus authentiques spécimens gaulo-gaulois que nous ayons en rayon. Fort en voix et en gueule, héritier de la faconde méridionale et du pastis conciliateur, menant un combat plutôt désespéré contre des rondeurs léguées sans doute de génération en génération, le gaillard existe tel qu’en lui-même. Et il existe fort. Depuis longtemps. La vraie réussite pour un artiste, professait Louis Jouvet, maître en la matière, est de durer. Et il dure, Sardou. Bourru, ronchon comme au premier jour. Le Gaulois est volontiers rouspéteur. C’est son ADN. César s’en amusait, paraît-il. Michel Sardou est de ce lignage, évidemment. Il vitupère. Une manière comme une autre, plutôt pudique celle-là, de parler de ce qu’on aime, de soi, des autres, de son pays, par exemple. De la vie comme elle va. On se reconnaît assez volontiers en cela, on s’identifie aisément au bonhomme, pour tout dire. C’est là indéniablement l’une des raisons de son succès au long cours. Populaire, le succès, au sens noble du terme, faut-il le préciser.

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Or, voilà bien qu’un procès en diabolisation surgit au cœur de l’été, instruit par une chanteuse qu’on nous dit talentueuse, mais qui n’a pas encore vraiment duré, elle, et qui semble appartenir à cette génération de l’instantané et du zapping pour qui les valeurs que sont le respect des anciens, l’humilité devant ce qu’ils ont fait, leur parcours, leur gloire, leurs plaies et leurs bosses, ne doivent guère surpasser en cote celle de la cacahuète. Parmi les horribles choses dont seraient coupables ces cacochymes, et qui polluent non seulement le présent mais aussi l’avenir des générations actuelles et futures, il y aurait, figurez-vous, une chanson, de l’intéressé, Les Lacs du Connemara. La musique serait infâme, le texte indigent, le projet lamentable, la prestation consternante. Le tout, synthétise avec brio la procureure inspirée, nous donnerait tout simplement un objet labélisable « de droite ». « De droite », estampille commode et désormais consacrée pour exprimer le mépris, la haine, le dégoût, la nullité, etc.

Médine dans les bons coups, dans le bon camp

On imagine non sans effroi ce qu’aurait proféré cette même censeur(e) si Sardou avait osé inscrire à son répertoire ce grand moment de nostalgie réac assumée qu’est la jolie chanson de Jean Ferrat, La Montagne. L’hymne insurpassable du « c’était mieux avant ». Mieux au pays avec deux chèvres et quelques moutons, mieux aussi avec les vieux qui « s’essuyaient, machinal, d’un revers de manche les lèvres ». Avec surtout l’horrible mais incontournable piquette qui faisait des centenaires à ne plus que savoir en faire. Bref, toute la lyre (comme dirait Audiard, autre Gaulo-Gaulois d’excellente facture.) Mais la voix chantant étant cataloguée voix de gauche, personne n’aurait songé à sourciller. De ce fait, les couplets eux-mêmes tombaient du bon côté. Ainsi, vous bousculez Sardou sensiblement sur sa gauche (ne lui en déplaise) et hop ! Le Connemara et ses lacs entrent illico en odeur de sainteté. Tenez, je suis prêt à parier que si le très courtisé Médine se laissait aller à reprendre La Montagne, personne ne trouverait à y redire. (Sauf peut-être à propos de la piquette, cela pour des raisons que chacun comprendra sans qu’il soit besoin de s’étendre.) Médine, lui aussi est du bon camp, le bon camp de l’air du temps, voyez-vous. La preuve, on le courtise, on l’accueille, on le célèbre. Des groupes politiques en mal d’inspiration déconstructrice ou révolutionnaire, en mal surtout de souffle et de vraies visions se l’approprient, le cajolent, l’encensent. Il n’est pas jusqu’aux immondes jeux de mots antisémites qu’il s’autorise qui ne bénéficient auprès d’eux de cette forme d’indulgence qu’on accorde de coutume aux marmots parce qu’on veut bien considérer qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent. Lui sait très bien ce qu’il dit, pourquoi et pour qui il le dit. Son truc, son instrument de prédication, c’est le rap. On a le droit d’apprécier le rap. Moi, je préfère la musique. Y compris celle des Lacs du Connemara. Ce n’est pas la Cinquième ou le Requiem, ni Pavane pour une infante défunte, on en conviendra sans peine, mais ça gambade gaiement, ça bouge et virevolte à la gaillarde comme, j’imagine, dans les pubs d’Irlande, au fond de la nuit et du tonneau de bière.

Cela dit, si Médine venait à enfourcher le cheval Ferrat pour adapter La Montagne, il pourrait, dans le droit fil de son louable effort, élever le propos jusqu’à reprendre, du même Jean Ferrat, Nuit et Brouillard, ce magnifique manifeste de révolte, de refus face au génocide juif, face à la menace toujours si sournoise et si putride de l’antisémitisme. « Je twisterais les mots s’il fallait les twister », proclame Ferrat. Chez Médine, cela pourrait donner : « Je raperais les mots s’il fallait les raper. » Nous autres, on s’en accommoderait. On verrait là un signal fort, comme on dit aujourd’hui. Oui, on applaudirait. Comme on applaudira à tout ce qui pourra contribuer si peu que ce soit à faire que jamais – au grand jamais – une petite voix blessée s’élevant des profondeurs de notre beau pays ne vienne nous seriner en boucle : « Ne m’appelez plus jamais France /La France, elle m’a laissé tomber / Ne m’appelez plus jamais France, c’est ma dernière volonté. »

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Article extrait du Magazine Causeur




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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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