Invité de RTL pour présenter la pièce N’écoutez pas mesdames de Sacha Guitry – au théâtre de la Michodière à partir du 12 septembre – Michel Sardou a soudain changé de sujet et lancé les accusations les plus graves sur notre époque !
Je reviens sur le récent passage de Michel Sardou sur RTL. Que nous dit-il ? Que c’était « mieux avant »!
Entouré de gens de bonne compagnie, Sardou parlait donc de théâtre. « Comment apprenez-vous votre texte, très cher? » etc… Soudain, titillé par Monique Younès, il a lâché cet aveu avec sa voix un peu rocailleuse : « Je hais cette époque. Je hais ce siècle. Dans les années 80 la vie était plus souple, plus détendue. On pouvait fumer, faire l’amour, conduire vite. Aujourd’hui, on n’a plus aucune liberté. »
Sardou a beau avoir un lourd passé d’homme de droite – je rappelle qu’il a passé toute sa carrière vilipendé pour ce fait atroce ! – il est une star. Comme Gérard Depardieu, Alain Delon ou Michel Houellebecq. Ils peuvent donc vomir le monde contemporain voire chanter les louanges d’un dictateur sans être blacklistés, les chanceux. Leur immense popularité les protège. Le progressiste a des convictions, mais il respecte ce qui brille ou fait de l’audimat.
La nostalgie, pêché le mieux partagé de France
Pourtant, s’il y a bien une chose que notre époque ne tolère pas, c’est qu’on ne l’aime pas.
Pour la pensée dominante, que l’on disait hier de gauche et qui s’appelle aujourd’hui « progressiste », toute innovation doit être un bienfait. Toute chose qui change se doit d’être quelque chose de bien, l’avenir est rose et souriant, à l’exception notable du changement climatique bien sûr. En conséquence, la nostalgie est un crime et l’approbation de ce qui se passe un devoir citoyen.
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Quand Alain Finkielkraut, Eric Zemmour ou d’autres que je ne vais pas dénoncer tiennent des propos sur le mode « c’était mieux avant », ils sont affublés de noms d’oiseaux allant de déclinistes à réactionnaires.
De quoi se plaignent-ils? Nous avons Greta Thunberg et le tri sélectif, les tablettes à l’école et bientôt la PMA pour toutes. Nous avons Twitter et le principe de précaution. Nous pouvons dénoncer quiconque fait une blague qui nous offusque, et obtenir le renvoi de n’importe quel dragueur lourd. Vous n’allez pas regretter ces temps obscurs d’avant la parité, la trottinette, et les photos de cancéreux sur les paquets de cigarette, si ?
Surprise : toutes les enquêtes montrent que oui ! La nostalgie est le péché le mieux partagé de France. La récente rentrée des classes le montre encore. Même si l’on n’a pas le droit de le dire, tous les parents de France pensent qu’une école où les enfants du peuple apprenaient à lire et à écrire, c’était mieux que notre école égalitaire qui donne à tout le monde un bac sans aucune valeur. Dans un autre registre que j’affectionne, je rappelle que nos médias et nos élites célèbrent la révolution #metoo et dénoncent la prétendue « culture du viol » en permanence. Mais dans le même temps, nous adorons Jean Gabin et les années 70 qui n’étaient pas blanc bleu sur le front de l’égalité des sexes.
Ecoutez donc ce que pouvait chanter Sardou, hier :
« S’installer à la Présidence Et de là faire bander la France » ? Nul doute que ce magnifique hommage à la liberté des femmes serait dénoncé comme sexiste aujourd’hui. Comme Brassens, Stendhal ou toute la littérature française d’ailleurs.
Crise identitaire, panne de l’ascenseur social, rétrécissement de ce que l’on peut dire
Pourquoi cette nostalgie des années 70 me direz-vous? A cause des Trente Glorieuses? Peut-être. Il est certain qu’il y a l’idée que nous avons perdu une époque où l’on se disait que ses enfants feraient mieux que soi et trouveraient du boulot en traversant la rue. Mais pas seulement ! Je vous donne deux autres raisons qui expliquent selon moi cette nostalgie.
Nous traversons une crise identitaire. Nous ne savons plus ce qui nous rassemble. D’où le sentiment de perte de maîtrise de notre destin collectif. Notre nostalgie de la France des Chtis n’est pas la nostalgie d’une France blanche, mais la nostalgie d’une France où les immigrés voulaient être des Français comme les autres.
Et encore plus grave, nous n’aimons plus la liberté. Nous voulons que l’on ménage notre susceptibilité, que l’on interdise par la loi les idées qui nous choquent. Nous observons un incroyable rétrécissement de ce qui peut se dire. Et donc se penser.
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Alors certes, tout n’était pas mieux avant. Mais tout de même pas mal de choses, vous le voyez. Et on devrait avoir le droit de le dire, même quand on ne s’appelle pas Michel Sardou !
Cette chronique a été initialement diffusée sur Sud Radio le 3 septembre 2019.
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