Qui peut s’enorgueillir de n’avoir pas en lui de craintes inexpliquées, propres à faire la fortune des psychanalystes ? Au départ de ce livre bref, il y a l’intention de Michel Richard d’éclaircir la peur panique que lui inspire l’idée de devoir être mis en présence d’un cadavre.
Peu d’entre nous s’en réjouissent, mais c’est d’une terreur invalidante dont parle l’auteur, au point qu’il a organisé sa vie de manière à toujours échapper à cette situation. « C’est par surprise que mon premier cadavre m’est tombé dessus », dit-il, non sans humour, car jamais il ne se départ d’un mélange de gravité et de drôlerie pour développer son sujet, comme s’il avait besoin de railler sa trouille. Ce premier mort à lui « tomber dessus », c’est un ami qu’il vient visiter trop tard sur son lit d’hôpital (« Sa tumeur était ce qui se faisait de mieux dans le genre, le nec plus ultra des machines à tuer… »).[access capability= »lire_inedits »] Richard, finalement, ne se sort pas si mal de cette exhibition inaugurale, car c’est plutôt, précise-t-il, la vue du cadavre en majesté qui l’indispose, « la dépouille exposée, maquillée, sur son trente-et-un » : ainsi la dérision lui permet-elle de désamorcer la bombe atomique du cadavre tant redouté.
Le père entre dans le récit à la page 33 : il ne va plus guère le quitter. Il meurt alors que Michel a 15 mois. Autant dire que le fils n’en a aucun souvenir. Pour lui, le père est donc réduit à un vide, à un rien : « Le rien, il est ce qu’on en fait », et l’auteur de s’engager alors dans une réflexion sur la présence/absence de son père, sur l’économie d‘une relation inexistante qui lui avait épargné d’avoir à déjouer les pièges de l’admiration ou, au contraire, ceux de l’opposition systématique. Jamais de désamour, jamais de mésentente. De quoi se réjouir, presque, d’être orphelin.
Mais enfin, une question lancinante revient aujourd’hui sous la plume du fils : que dois-je à cet encombrant défunt ? Quelle est ma part d’héritage qui lui appartient ? Il en vient à voir, dans son géniteur, le « cadavre originel », le mort fondateur sur lequel s’échafauderait la panoplie de ses répulsions futures, hantises dont il tient le nuancier : « Mes souvenirs d’obsèques réussis sont nombreux, quand je m’ennuie aux mariages. » Car Michel Richard assiste aux enterrements comme s’ils étaient une répétition du sien. Avec un narcissisme assumé et souriant, il profite de son livre pour organiser ses propres funérailles, choisissant les musiques qui les accompagneront − l’Aria di Almirena, chantée par sa nièce (dans les mêmes circonstances, je préférerai pour moi-même le Stabat Mater de Pergolèse) −, comptant les invités, mais oubliant (je me permets de le lui signaler) de rédiger son épitaphe, ce que, pour mon compte, j’ai eu la prudence de faire depuis bien longtemps. On aura compris que cet ouvrage vif, d’une belle facture classique, est un manuel irremplaçable, un badinage à la gravité profonde, traversée de fanfaronnades roboratives sur l’art de faire, en sifflotant, son lit de mort en portefeuille.[/access]
Quelques corps parmi les morts, de Michel Richard (Fayard, 2013).
*Photo : Adieu Berthe.
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