Pour le deuxième volet de cette série d’été, Jérôme Leroy nous parle du roman Le Cocher de Boiroux de Michel Ragon, déniché en poche sur un marché.
On a une grande tendresse pour Michel Ragon qui doit bien aller sur ses 95 ans et dont l’œuvre abondante de romancier, de critique d’art et de spécialiste de la littérature anarchiste et prolétarienne, née avec Henry Poulaille, a rencontré un vrai succès public. Cela a sans doute aussi été le cas pour ce Cocher du Boiroux que l’on a trouvé en livre de poche dans une édition de 1994. Le Boiroux, c’est un château vendéen, à proximité des marais. Nous sommes au début du vingtième siècle.
La Vendée entre passé historique et premières luttes sociales
Quand monsieur Henri y revient, après des années d’absence, c’est pour assister à l’agonie de son père, le baron Octave. Personnage que l’on croirait sorti d’un roman de Barbey d’Aurevilly, le baron déteste le progrès et vit comme un vieux féodal entouré d’une nombreuse domesticité. Henri, lui, redécouvre les lieux de son enfance et mesure l’ampleur du désastre. Son père meurt d’alcoolisme aigu, il laisse sombrer le domaine en poursuivant d’obscures querelles. Même Clovis, le cocher, l’ami d’enfance, semble être devenu un autre, plus distant, plus lointain.
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Il faut dire que la Vendée de ces années-là est un pays bien étrange, coincé entre un passé de légende et les premières luttes sociales. Au détour d’un marais, on découvre des cimetières de chevaux trop vieux qui viennent mourir là, dévoré par les sangsues. On déterre les nouveaux nés, tués par des parents trop pauvres et on laisse agoniser des nourrices sèches sous les combles.
Morts violentes et disparition de l’Ancien régime
Mais c’est aussi l’époque des bouleversements sociaux pour cette contrée qui croyait pouvoir vivre sur un ordre immuable. Les métayers ne veulent plus payer les baux, les mineurs de Faymoreau refusent de descendre dans les puits, et les fantassins en pantalon rouge traquent les syndicalistes tandis que les meetings de l’anarchiste Séraphine Pajaud enflamment les consciences. Le château du Boiroux, comme un sismographe, enregistre toutes les secousses des événements. Le maître des lieux ne sait plus s’il doit avoir peur des loups et des sorciers ou des soubresauts d’une lutte des classes naissantes.
Et c’est tout un monde qui implose en multipliant les morts violentes.
Avec ce Cocher du Boiroux, Michel Ragon signait le quatrième volume de son « cycle vendéen ». Plus que jamais, il donnait dans ce livre l’impression très agréable d’être une manière de La Varende qui aurait lu Bakounine et Jaurès. Sa peinture des sortilèges du grand Ouest et d’une aristocratie qui s’est arrêtée de vivre le 13 juillet 1789 se mêle parfaitement à celle de la vie quotidienne des paysans et des serviteurs qui s’aperçoivent lentement mais surement que le roi est nu.
Le cocher du Boiroux est l’autopsie d’une décadence et d’une chute ambiguë. En effet Ragon dont on sait la fibre libertaire n’est pas dupe: ceux qui souhaitent la mort d’un monde ancien et l’avènement du progrès (suivez mon regard vers Macron) le font en général au nom de la rentabilité, cette ennemie mortelle de la poésie et des pauvres.
Le cocher de Boiroux de Michel Ragon ( Livre de poche, 1994, 1 euro, marché d’Eymoutiers)
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