Accueil Édition Abonné Décembre 2023 La guerre de civilisation, hélas!

La guerre de civilisation, hélas!

Pourquoi Michel Onfray défend la civilisation judéo-chrétienne


La guerre de civilisation, hélas!
Michel Onfray © SYSPEO/SIP

Féroce critique du néolibéralisme et de la post-modernité qui soufflent sous nos latitudes, Michel Onfray, philosophe athée, sait malgré tout ce qu’il doit au monde juif et au christianisme. Il explique pourquoi, face à l’islamisme, il soutient Israël et se «battra pour défendre» l’Occident.


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Je parle depuis bien longtemps d’une guerre civile à bas bruit en France. Ce bas bruit est devenu un vacarme épouvantable depuis qu’en réaction au pogrom du 7 octobre dernier infligé par des Palestiniens du Hamas à une population civile désarmée en Israël, on a vu sortir dans les rues d’Europe des peuples hétérogènes qui manifestaient en faveur de deux conceptions du monde radicalement antinomiques.

En France, ce fut un monde globalement blanc et âgé pour les judéo-chrétiens qui, sous le drapeau national, affichaient la nécessité de lutter pour la République contre l’antisémitisme, sans qu’une marée de drapeaux israéliens ne recouvre le tout. En face, et non plus à côté, le monde créolisé des arabo-musulmans, pour utiliser la formule d’Houria Bouteldja, où le drapeau français n’eut pas droit de cité mais où, en revanche, flottaient au vent mauvais quantité de drapeaux palestiniens, algériens ou d’autres pays du Maghreb.

Ceux qui refusent le réalisme tragique que Samuel Huntington expose dans Le Choc des civilisations pour lui préférer la potion magique de l’idéalisme libéral vendue dans La Fin de l’histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama résistent encore aux leçons données par le réel. Diagnostiquer l’avenir de l’histoire du monde sous le signe du choc des civilisations, ce serait pour d’aucuns créer ce que l’on dénonce, comme si le cancérologue méritait d’être rossé pour avoir annoncé des tumeurs malignes à son patient !

Les éléments de langage des fukuyamistes – je les nomme ainsi – sont simples, sinon simplistes : ils opposent les pays illibéraux, dans le rôle des méchants bien sûr, et les pays démocratiques, dans celui des gentils évidemment. Imbibés de tiers-mondisme, comme on l’est d’un alcool éventé, quelques-uns mobilisent également le territoire et les nations, comme si le territoire et les nations existaient dans le ciel des idées, sans hommes, femmes, enfants, vieillards et morts pour les habiter, des humains qui ne prient pas par hasard Yahvé, l’ancien qui a plus de trois mille ans, Jésus-Christ qui en a deux mille ou Mahomet, le cadet, qui en a mille trois cents, une chronologie qui devrait régler définitivement le problème des préséances : les musulmans ne sauraient occuper une terre deux mille ans avant que leur religion n’existe ! Autant prétendre sans rire que Spinoza vivait dans le Saint-Germain-des-Prés existentialiste.

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Pour qui examine la validité des thèses intellectuelles à la lumière de ce qu’on ne nomme plus la praxis, ce qui a eu lieu dans le monde depuis un demi-siècle invalide la thèse de Fukuyama : qui prétendrait que le libéralisme a conquis la planète entière ?

En revanche, depuis l’arrivée des ayatollahs au pouvoir en Iran en 1979, avec l’aide des Américains qui laissent tomber le shah pour soutenir Khomeiny, l’histoire du monde est moins une affaire d’extension planétaire des marchés que de mondialisation de l’islam.

Israël nomme la résistance occidentale à ce tropisme planétaire.

L’Organisation de la coopération islamique liste cinquante-sept pays musulmans au monde. Les juifs disposent d’un seul État et il s’étend sur 25 000 km2. Les musulmans sont un cinquième de la population mondiale, avec plus d’un milliard et demi d’habitants ; les juifs en totalisent 15, dont sept en Israël. Plus de 6 millions de musulmans en France, pour 600 000 juifs.

Qu’est-ce qui justifie que ce Léviathan géographique et démographique musulman – des milliards de gens vivant sur des millions de kilomètres carrés – ne supporte pas un ciron géographique et démographique comme Israël qui, on l’a beaucoup dit, correspond peu ou prou à deux départements français ?

Réponse : parce que ce pays, ce peuple incarnent un génie qui féconde l’Occident et le rend possible. La Torah, le Pentateuque des chrétiens, autrement dit les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, puis le Nouveau Testament, avec ses quatre évangiles, mais aussi et surtout les épîtres du juif Saül qui se convertit au christianisme et devient le saint Paul que l’on sait, génèrent un judéo-christianisme qui constitue la spiritualité d’une civilisation, à savoir : sa matrice formelle.

D’où vient ce génie juif qui engendre la haine de ceux qui en sont dépourvus ? Non pas d’un peuple élu, cette thèse suppose la croyance en un Dieu électeur, mais d’une invite iconoclaste destinée à se démarquer des religions idolâtres, donc iconophiles, des ennemis de l’époque. Dans son deuxième commandement, le décalogue dit ceci : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces images, pour leur rendre un culte », (Exode 20.4).

Cette interdiction ouvre la porte à l’exégèse et à l’herméneutique qui supposent, via la lecture et le commentaire, la naissance et l’exercice d’une raison affûtée, d’une intelligence performante et d’un génie dans la rhétorique, la sophistique et la dialectique talmudiques. La formidable puissance du Livre s’exprime ici et ainsi.

La civilisation juive est aussi bien celle du chiffre des mathématiciens et des physiciens, sinon des astrophysiciens, que de la note musicale. C’est aussi celle du texte enroulé sur lui-même, déplié, déployé. Le monisme de Spinoza, le matérialisme dialectique de Marx, la relativité d’Einstein, le dodécaphonisme de Schönberg, la psychanalyse de Freud, les Arts incohérents initiés au xixe siècle par Jules Lévy et pillés par l’avant-garde esthétique du xxe siècle, le roman de Proust, le dadaïsme de Tzara, le lettrisme d’Isou créent des mondes qui permettent à leur tour de créer des mondes.

Les chrétiens procèdent du judaïsme, on le sait : Jésus était juif, saint Paul aussi. Les juifs annoncent un messie à venir en affirmant qu’il sera ainsi, dira cela, enseignera telle chose, se comportera de telle manière. Des juifs hétérodoxes, eux, disent qu’il n’est plus à venir car il est déjà venu et que, comme par hasard, il a dit ceci, il a fait cela, il a enseigné telle chose, il s’est comporté de telle manière. Le psaume XXII.2 prophétise qu’il dira : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et, toujours comme par hasard, ce sont les dernières paroles très exactement prononcées mille ans plus tard par le Christ sur sa croix.

Cette fiction suppose chez les chrétiens un goût particulier pour l’allégorie, le symbole, la parabole, l’image, la métaphore mais aussi, et surtout, après un long débat tranché par les conciles, le choix de l’iconophilie qui induit un autre genre de civilisation que la civilisation juive. Civilisation de l’icône, de l’image, de la peinture, donc de l’art occidental– et des images photographiques, cinématographiques, pixélisées, virtuelles.

Défilé militaire des Brigades Al-Qods, l’aile armée du Jihad islamique palestinien, Gaza, 7 octobre 2023. « C’est le lieu chimiquement pur de la charia, autrement dit : un État théocratique. » (c) Omar Ashtawy/APAIMAGES/sipa

La signature de l’islam n’est pas dans l’herméneutique et l’exégèse, ni dans l’allégorie et le symbole. Cette civilisation est elle aussi iconoclaste, elle refuse en effet l’image qu’elle associe aux idolâtres, mais elle s’interdit le commentaire de son texte, le Coran, car il est présenté comme un discours tenu par Dieu lui-même auquel on ne saurait changer quoi que ce soit sans commettre un blasphème fatal. Le Coran dit :« La religion, aux yeux de Dieu, est vraiment la soumission » (III.19). Et se soumettre, ça n’est ni réfléchir ni analyser, ni penser ni figurer, ni raisonner ni représenter, ni symboliser ni imaginer, mais obéir.

S’opposent donc de façon dialectique l’herméneutique juive, la symbolique chrétienne, donc l’exégèse allégorique judéo-chrétienne, et l’obéissance musulmane. L’islam suppose donc l’apprentissage du Coran par cœur, j’ai vu des écoles coraniques en Mauritanie et au Mali, à l’époque où l’on pouvait encore s’y rendre, et constaté de visu l’obéissance aveugle à l’imam qui, auprès des enfants, fonctionne en directeur de conscience, en maître spirituel et en instructeur des corps, des coeurs et des âmes.

Ceux que la religion condamne à répéter ne sauraient aimer ceux qui, en face d’eux, inventent, créent, innovent, découvrent, imaginent. L’éthologie qui fait la loi entre les mammifères la fait aussi entre les peuples et les civilisations.

L’époque interdit désormais de parler en termes de peuples, de génie des peuples, de civilisations, de différences entre les civilisations – j’écris bien différences et non inégalités – au nom d’un universalisme idéel peuplé d’abstractions humaines. Le refus de convenir qu’Huntigton dit vrai suppose un cerveau embué par les fumées universalistes. Il n’y aurait pas d’esprit des peuples pour la bonne et simple raison qu’il n’y aurait pas d’esprits et pas de peuples !

Les juifs, eux, témoignent que pareilles théories sont des sottises. Et ils le font avec un livre, autour d’un livre qu’ils veulent comprendre plutôt que de l’apprendre par coeur. C’est le vieux débat de la tête bien faite contre la tête bien pleine, cher aux humanistes de la Renaissance.

Une civilisation de la tête bien pleine se condamne à l’immobilisme, à la répétition. Peut-on penser et vivre à l’ère des vols interplanétaires comme dans le désert d’Arabie du viie siècle de l’ère commune ? Les islamistes répondent oui, on le sait.

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Je suis un pur produit du judéo-christianisme et je me sens chez moi quand je suis à Jérusalem et plus encore à Tel-Aviv. Chestov fit un livre notable intitulé Athènes ou Jérusalem ? Autrement dit : la raison grecque ou la foi juive ? Athènes et Jérusalem ont existé ensemble : non pas opposées, nécessitant le choix de l’une, donc l’éviction de l’autre, mais et Athènes et Jérusalem en même temps : c’est le judéo-christianisme mélangé aux gréco-romains.

La question qui se pose désormais n’est plus la même, l’opposition non plus. Ce pourrait être : Paris ou Gaza.

On dit peu qu’à Gaza, la civilisation islamique existe à l’état pur depuis qu’Israël a laissé la gouvernance de ce territoire au Hamas en juillet 2007, soit depuis seize années. Qu’ont-ils fait de cette terre, de leur terre ?

C’est le lieu chimiquement pur de la charia, autrement dit : un État théocratique. Depuis la proclamation, en France, de la République, la théocratie est une référence caduque.

Si l’on demande à Amnesty International ce qu’il pense des droits de l’homme à Gaza, alors que l’on connaît l’orientation politique de cette organisation humanitaire qui communique en écriture inclusive, on comprend qu’ils sont le cadet des soucis du Hamas qui dirige cette terre palestinienne. Voici la réponse : liberté d’expression, liberté d’association et liberté de réunion bâillonnées ; « climat de répression » contre la population qui manifeste contre la vie chère ; détentions arbitraires en prison ; actes de torture contre des prisonniers ; disparitions d’otages ; meurtres en quantité de femmes par leur famille ; refus d’enregistrer les plaintes contre les violences faites aux femmes dans les commissariats de Gaza ; sauvageries homophobes dans les rues sous le regard de la police qui laisse faire ; traque des homosexuels sur les réseaux gay ; « vague d’incitation à la violence et de discours haineux à l’encontre des personnes LGBTI et des féministes qui n’a donné lieu à aucune enquête des autorités », selon les termes mêmes d’Amnesty ; corruption de la justice et de la police ; usage de la peine de mort : 27 condamnations à mort en 2022, soit une tous les quinze jours ; transformation de peines de réclusion criminelle à perpétuité en peine capitale.

Ajoutons à cela : interdiction d’avorter, autorisation des répudiations des épouses par les maris, ratification de la polygamie. Faut-il préciser qu’il n’est bien sûr pas question à Gaza de gestation pour autrui, de mariage homosexuel ou d’adoption d’enfants par des couples du même sexe ?

Où l’on voit à quoi ressemblerait un plein État palestinien en terre d’Israël, un pays dont le Hamas annonce dans sa Charte qu’il a pour objectif de supprimer purement et simplement « l’entité sioniste », un projet commun aux Iraniens.

Théocratie, misogynie, phallocratie, patriarcat, homophobie, bellicisme, antisémitisme, virilisme, peine de mort : voici les valeurs de la civilisation islamique. Faut-il lister en face les valeurs d’Israël et du judéo-christianisme ? Facile : c’est très exactement l’inverse !

Quand les compagnons de route islamo-gauchistes du Hamas traquent dans la France décadente la grossophobie, la glossophobie, le spécisme, le carnisme, les écocides et que, de ce fait, ils défendent la surcharge pondérale, l’accent des banlieues plutôt que l’accent ch’ti, les piqûres de moustique, car elles sont des mères de famille comme les autres, et la cohabitation avec les rats, les punaises de lit et autres « animaux liminaires », les transports en trottinette et autres marqueurs wokistes de la sous-culture maastritchienne, les tueurs du Hamas, qu’ils défendent aussi, abattent des enfants, décapitent leurs parents, éventrent des femmes enceintes, rafalent des familles désarmées, violent, torturent des personnes âgées, pillent les maisons qu’ils aspergent de sang, de cervelle et de viscères, mutilent des cadavres, humilient et capturent des otages comme les tribus primitives au début de l’humanité.

Cette soldatesque pratique la guérilla : en tatanes sur des petites cylindrées, aux commandes d’ULM, transportés dans des pick-up, déplacés en véhicules civils, armés de kalachnikovs, aidés de drones de loisir, ces mercenaires de l’enfer réactivent les pogroms. Désemparé, surarmé, disposant de l’arme atomique et d’un matériel militaire de haute technologie ici inutiles, vaincue sur le terrain du renseignement, l’État d’Israël perd une première bataille avec ce « Déluge d’Al-Aqsa ».

Les catégories de la guerre napoléonienne sont ici inutiles. Potasser De la guerre de Clausewitz ne sert à rien : à quoi bon les porte-avions américains qui croisent au large de la bande de Gaza ? Ou la bombe atomique dans un silo quelque part sur la terre d’Israël ? C’est de « la petite guerre », ainsi que la nommait le même Clausewitz, qu’il est désormais question – de la guérilla.

Détruire les populations civiles palestiniennes ne sert à rien quand le gouvernement terroriste du Hamas choisit de ne pas mettre sa population à l’abri dans les 500 kilomètres, dit-on, de souterrains dans la bande de Gaza, et que ce cerveau politique se trouve probablement à l’abri dans des pays étrangers identifiés dans lesquels Israël ne peut intervenir sans créer une guerre mondiale – Qatar, Arabie saoudite, Liban, Iran probablement.

Ne pas abriter sa population dans les boyaux de Gaza, c’est, pour le Hamas, prendre sciemment sa population en otage : c’est décider de la faire tuer par des soldats israéliens avant d’accabler ceux qui tirent. Qui peut soutenir un pays qui tient son peuple dans une telle sujétion ? Les islamo-gauchistes, la gauche française, la Nupes réactivent de façon cynique et immorale les fantômes de la division Das Reich qui a opéré sur des populations civiles innocentes, elles aussi, à Oradour-sur-Glane.

Dans cette guerre de civilisation, les adversaires sont clairement identifiés. Les amis et les ennemis aussi. Les figures du Résistant et du Collaborateur reprennent du service – militaire.

Je n’ai jamais trouvé que défiler sur des chars à demi-nu avec des plumes de couleur fichées dans le derrière soit un sommet de civilisation judéo-chrétienne, j’y verrais même plutôt un signe inverse, mais c’est la mienne et je me battrai pour la défendre. Car je préfère cette vieille civilisation bosselée, couturée, balafrée, cacochyme, ridicule parfois dans la jouissance prise à son nihilisme, à une autre dans laquelle on précipite les gays du haut d’un immeuble en criant Allah Akbar ! On sait déjà, en France, qui collabore à ce genre de projet de société.

L’armée israélienne résiste : on peut lui faire le procès de la méthode. Qui sait mieux ? Qui peut mieux ? Qui fait mieux ? Qui propose mieux ? Des congrès, des rencontres, des négociations, des tables rondes ? De la diplomatie, secrète ou non ? Des dessous de table effectués dans les monarchies pétrolières du Golfe avec pays tiers qui se gobergent en passant ?

Quand un État, car Gaza et la Cisjordanie en constituent un, quoiqu’on en dise, quoi qu’on en pense, veut en détruire un autre et s’y attelle, qu’il a avec lui au moins un pays qui dispose de l’arsenal nucléaire, que l’oumma se trouve massivement derrière lui avec ses millions de fidèles, tous ceux qui fixent le doigt au lieu de regarder la lune sont gravement coupables. Des guerres mondiales se sont déclarées pour beaucoup moins que ça.

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Décembre 2023 – Causeur #118

Article extrait du Magazine Causeur




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est un philosophe et essayiste français.

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