Il est reproché au philosophe Michel Onfray de s’être attaqué au physique de l’icône suédoise Greta Thunberg, comparée notamment à un cyborg. Billevesées! Roland Barthes est plus actuel que jamais.
Non, Onfray ne s’en prend pas au corps de Greta, pas davantage que Roland Barthes ne s’en prend aux enfants lorsqu’il constate qu’en France, voyez comme c’est curieux, l’enfant idéal est celui qui reproduit parfaitement le monde des adultes. Dites-moi si je me trompe, mais j’ai comme l’impression que, pour nous, l’enfant idéal est celui qui reprendrait l’affaire du réchauffement climatique en main, défilerait dans la rue avec des banderoles anti-Trump, et « occuperait » Wall Street…
Je n’ai aucune sympathie pour Onfray mais…
Il n’y a rien de plus réactionnaire que d’utiliser un enfant pour recevoir son propre message sous une forme inversée. Voudrait-on leur voler leur enfance qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Je parle de l’enfance véritable, celle qui consiste à faire tout autre chose que ce que les adultes attendent de vous.
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Je n’ai aucune sympathie pour Michel Onfray, dont les thèses sur Freud ou Sade me sont aussi étrangères que possible. (L’auteur du « Crépuscule d’une idole » n’est certainement pas Roland Barthes). Mais je constate avec amusement que l’on s’en prend constamment au physique de Trump, ou de « Bojo », ce qui n’a pas l’air de gêner grand monde. La décence morale ne consiste pas à avaliser cette pratique lorsqu’elle s’applique aux gens que l’on déteste pour la rejeter subitement, à grand renfort d’indignation, dans le cas contraire. C’est cette requalification de la sémiologie en « injure » (toutes les fois que ça nous arrange politiquement ou théoriquement, notez bien) qui en dit long sur le nouvel obscurantisme sémiologique en cours.
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On aura toujours raison de faire la sémiologie d’un corps, puisque ce corps existe, puisqu’il participe d’un « message », puisqu’il est mis en scène et commenté par des adultes. Contrairement à ce que laisserait accroire la logique de l’indignation, faire la sémiologie d’un corps, ce n’est pas s’en prendre à quelqu’un, c’est parler des autres, de tous les autres, et c’est bien là ce qui dérange. Actualité de Roland Barthes, donc. On croit protéger un enfant, et l’on ne fait que protéger l’innocence de son propre message.
Et les enfants sauveront la politique
Mère Nature, fin du monde et culpabilisation des conduites, une association vieille comme la religion elle-même. Old wine, new bottles. La seule nouveauté ici est l’utilisation douteuse d’une singularité comportementale (l’autisme) pour faire taire toute critique (cette dernière devenant immédiatement la marque d’un cœur sec, avec les indignations morales qui s’ensuivent). Et puisqu’on parle de mère, sa maman nous apprend que Greta voit le CO2 à l’œil nu. Bon.
Autre solution : se servir d’une enfant pour faire la leçon aux adultes. Voici venu le temps, mes bien chers frères, du jeunisme révolutionnaire, celui qui voit dans l’âge même du combattant une bonne façon d’en remontrer aux adultes. De quoi Greta est-elle le nom ? Mais d’une parole enfin vraie sur l’état du monde, voyons. Ne dit-on pas que la vérité sort de la bouche des enfants ? Dans sa diatribe anti-Greta, Michel Onfray, cet anti-freudien de la première heure, a bien tort de ne pas établir un lien entre Greta et l’ère post-freudienne qui s’annonce, car ce « phénomène » est exactement ce à quoi mène l’oubli des leçons élémentaires du freudisme: pour qui n’a pas lu Freud, un enfant dit toujours la vérité. Avec cette conséquence que les adultes, écologistes ou non, devraient en prendre de la graine.
Tout ça devait bien converger vers la forme la plus connue de l’antiparlementarisme révolutionnaire, j’ai nommé le communisme. On croit parler des faits, et l’on ne fait que parler de son idéal. On croit sauver l’écosystème, et l’on ne fait que sauver l’idée toute pastorale que l’on se fait de la communauté comme-unie. Et si on avait en même temps la Science (Greta) et l’Idéal (le communisme), est-ce que ce ne serait pas formidable ?
Charmes de la vie intellectuelle. D’un côté, Michel Onfray se réjouit de la chute de l’imposteur viennois sans voir le lien entre son anti-freudisme et la promotion d’une idole enfantine. De l’autre, le nouvel évangile révolutionnaire, par la voix de son prophète le plus écouté, Slavoj Zizek, entend promouvoir la jeune fille au terme d’une exégèse très fouillée de Lacan. Loin de moi l’idée de lui jeter la pierre sur ce point, mais il est quand même dommage qu’une telle exégèse (par ailleurs si fine et surtout si drôle) s’achève sur les platitudes humanistes de l’engagement sartrien : « Agissons ! C’est notre devoir le plus authentique ! Sus aux cyniques de l’ordre établi ! Sus à la mauvaise foi ! Tous ceux qui n’agissent pas sont dans le déni ! » And so on and so forth…
Penser que l’on agit efficacement à partir d’un élément commun (ou pour sauver cet élément commun), telle est l’illusion de base que Lacan aura passé sa vie à expliquer aux communistes. En vain, naturellement. Il paraît que le déni a pour formule : « Je sais bien, mais quand même ». On en déduira facilement celle du communiste épris de Lacan : « Je sais bien que Lacan n’a jamais dit ça, mais quand même ».
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