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Michel Onfray, le pamphlétaire errant


Michel Onfray, le pamphlétaire errant
Michel Onfray sur le plateau de "La Grande Librairie" sur France 5, mars 2016. SIPA. 00747716_000005
Michel Onfray sur le plateau de "La Grande Librairie" sur France 5, mars 2016. SIPA. 00747716_000005

Décadence, que vient de faire paraître Michel Onfray chez Flammarion, est une éruption incontrôlée de paroles qui charrient le pire et parfois le meilleur, comme le Vésuve qui anéantit Pompéi et Herculanum et sauva des chefs-d’œuvre de la peinture romaine. On attend du pamphlétaire qu’il soit scandaleux, le plus scandaleux bien sûr étant Céline dans ses pamphlets antisémites. Avec Onfray, on est servi : Jésus-Christ est une fiction, l’empereur Constantin est un impérialiste sanglant et Saint Paul un misogyne dangereux. Il se trouve que j’ai sur ma table de chevet trois œuvres majeures qui m’affirment que le Michel raconte vraiment n’importe quoi.

La magistrale synthèse de toutes les recherches universitaires sur le Christ (et Dieu sait si elles sont nombreuses et écrites par des spécialistes de toutes convictions) se nomme simplement Jésus, de l’historien Jean-Christian Petitfils. Tout le monde sait, sauf Michel Onfray, que la vie du Christ est signalée par des historiens romains, dont Flavius Josèphe dans ses Antiquités Juives. Ce qui est moins connu et très émouvant, c’est qu’il est désormais prouvé que l’évangéliste Jean fut un témoin oculaire direct de la Passion. Il a par exemple entendu de ses propres oreilles et reproduit dans son Evangile la faute de grec commise par le latin Ponce-Pilate lors du procès du Christ. Le gouverneur romain a dit « ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » avec deux parfaits grecs, au lieu d’un parfait et d’un aoriste qui auraient été nécessaires. Élève Ponce, vous aurez zéro en conjugaison grecque !

Le grand historien de l’Antiquité Paul Veyne a écrit un beau livre qui s’appelle Quand notre monde est devenu chrétien. Je recommande particulièrement à votre gourmandise intellectuelle le chapitre Un chef-d’oeuvre : le christianisme, le plus bel éloge du christianisme que j’aie jamais lu, pourtant rédigé par un incroyant ! Paul Veyne parle beaucoup de Constantin et affirme à plusieurs reprises qu’il n’y a jamais eu, sous son règne et celui de ses successeurs du IVème siècle, la moindre persécution des païens par les chrétiens, ni la moindre discrimination dans les emplois publics. Ses lettres trahissent certes beaucoup de mépris pour ceux qui n’ont pas vu la grandeur morale de la nouvelle religion, la passion amoureuse fulgurante et réciproque qu’elle propose entre Dieu et sa créature. Les nombreuses guerres que dut mener Constantin furent consacrées à la défense des frontières et à la lutte contre ses rivaux, la routine des empereurs romains. Quant à Eusèbe de Césarée, il fut un simple flagorneur et sûrement pas le mentor d’un esprit d’aussi haute volée que Constantin.

Les pamphlétaires disent n’importe quoi

La philosophe chrétienne Chantal Delsol, que j’admire beaucoup pour son courage sur les questions de société actuelles (oublions un petit ratage sur le burkini, personne n’est parfait) explique clairement, dans Le Nouvel Age des Pères qu’elle a fait paraître avec Martin Steffens, que le respect chrétien de la femme remonte à la phrase de Saint Paul affirmant que toutes les créatures humaines sont égales devant Dieu : « devant Dieu, il n’y a ni Juif ni Grec, ni homme ni femme, ni maître ni esclave… ». Le Coran affirme, lui, selon Chantal Delsol, que « Dieu préfère les hommes », citation sur laquelle je m’abstiendrai d’ironiser même sous la torture. Il serait absurde de nier qu’il y a chez Saint Paul d’autres phrases qui nous paraissent aujourd’hui bien misogynes. Mais la Bible, ni dans sa partie juive ni dans sa partie proprement chrétienne, n’a jamais été présentée comme parfaite et incréée. C’est une œuvre humaine éclairée par la révélation divine, et une discussion avec ma fille me fait supposer que les jeunes générations, qui entendent plus souvent parler d’islam que de christianisme, finissent par s’imaginer que la Bible est tombée directement du ciel comme le Coran.

La cause est entendue, les pamphlétaires disent n’importe quoi. Céline affirmait que le Révolution Française était l’œuvre du Premier ministre anglais Pitt qui avait soudoyé les émeutiers de la Bastille. Mais il leur arrive, à travers la grossièreté de leur discours, ou peut-être grâce à elle, de beaucoup donner à penser. « Entre le pénis et les mathématiques, il n’y a rien » lit-on dans Le Voyage au bout de la Nuit, une phrase qui mériterait d’être proposée au bac si les organisateurs étaient moins bégueules. On pourrait, en ce sens, dire que Donald Trump, par ses énormités libératrices et cathartiques, a davantage l’étoffe d’un grand pamphlétaire que d’un président des Etats-Unis. Michel Onfray porte, lui, des jugements cruellement justes sur le catholicisme d’aujourd’hui : « en faisant de Dieu un copain à tutoyer, du prêtre un camarade à inviter en vacances, du symbolique une vieille lune à abolir, de la transcendance une plate immanence […] l’Eglise a précipité le mouvement en avant qui annonçait sa chute ». Comment sait-il cela ? Je me demande si ce diable d’homme ne se dissimule pas sous un grand manteau et une grande voilette pour aller écouter la messe tous les dimanches dans sa paroisse de Caen.

Mais Décadence finit comme un pétard mouillé. Le volcan accouche finalement d’une souris, miraculeusement sauvée de la lave. L’islam triomphera de l’Occident, et qu’importe ? « Nous avons le nihilisme, ils ont la ferveur ; nous sommes épuisés, ils expérimentent la grande santé, nous vivons englués dans l’instant pur […], ils tutoient l’éternité… » Voilà qui n’est plus du tout pamphlétaire. Agrippa d’Aubigné  réclame la vengeance contre les catholiques dans les Tragiques, Paul-Louis Courier abomine Napoléon le Grand, Victor Hugo traîne dans la boue Napoléon le Petit, Bernanos tempête contre Franco, Soljenitsyne contre le Goulag. Et Onfray nous prêche benoîtement la résignation ! Mais où est passée la grande leçon sartrienne, la seule de cet homme qui a mes yeux garde toute sa valeur : « Engagez-vous ! » Je trouverais plus honnête et intéressant un essayiste qui se poserait la seule question essentielle pour nous en ce début 2017 : pour la suite de la France, pour échapper à l’islamisation de notre pays, vaut-il mieux voter François Fillon ou Marine Le Pen ?

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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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