En 2016, Michel Mourlet, alors 81 ans, faisait une pause et se souvenait. Il publiait ses Mémoires (Une vie en liberté) – et on se régalait. Relecture.
Quelle vie, en effet ! Des « mac-mahoniens » à MATULU, de Présence du cinéma à La NRF, de Valeurs actuelles et Nouvelle École à La Nouvelle Revue Universelle (remarquable revue trimestrielle fondée par Jacques Bainville) depuis 2017, Michel Mourlet fut tour à tour théoricien du cinéma, romancier, dramaturge, critique de théâtre et littéraire. Sa triple postulation – cinéma pendant les grandes années de la cinéphilie (années 50-60), théâtre pendant quinze ans à Valeurs actuelles, littérature (de toujours) – lui a permis d’embrasser le vaste monde dans sa très féconde complexité (et richesse).
Dans Une vie en liberté, il se souvient (donc) : de la découverte de son maître Paul Valéry et de ses rencontres émerveillées avec Montherlant, de ses lectures de Flaubert, Descartes, Nietzsche, Pascal, Chamfort, et de son ami Fraigneau, de son rendez-vous manqué avec Cocteau et de ceux, mémorables, avec Déon. De son admiration, illustrée par un dossier dans MATULU, de Morand (l’écrivain, l’homme moins), et du trop méconnu François Billetdoux, d’autres de ses amis aussi : Michel Marmin, Alfred Eibel, Jean Curtelin, Jean Dutourd, Georges Mathieu, Silvia Monfort, Alexandre Astruc.
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On le trouve dans ses Mémoires tel qu’on le suppose (et qu’on le connaît) : homme libre, incapable d’hémiplégie intellectuelle, susceptible de s’enthousiasmer pour Etiemble ET pour Druon (voire pour Sartre, ce qui nous est inaccessible, en dépit de nos lectures). Il se rappelle les conversations avec Rohmer, l’étonnant et trouble Parvulesco, l’illustrateur Savignac.
Très précis dans ses évocations, cérébral, il parvient à rendre son lustre à un mot usé, voire démonétisé aujourd’hui : Mourlet est un intellectuel très outillé, un agitateur d’idées, un provocateur épris de logique, un polémiste surtout, dont la langue est tant pendue que savoureuse.
« Il goûte subtilement ce qu’il aime, il sait faire partager ses admirations, ses humeurs, ses enthousiasmes. En un mot, Michel Mourlet restera peut-être, sans doute, parce qu’il est aussi un écrivain. » (Jean-Jacques Brochier, Le Magazine littéraire)
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L’amoureux, quoique discret et pudique, apparaît aussi dans ces pages qui revivifient en un exaltant bouquet quelques-unes des figures les plus insolentes du demi-siècle passé. Et une époque où la liberté de penser n’était pas un vain mot. Une audace tout au plus. Un courage aussi.
NB Deux précisions pour finir – et compléter l’ « exaltant bouquet » :
- Pour les amoureux de la littérature du XXème siècle, Michel Mourlet a publié en 2021, la troisième édition, revue et augmentée, de son recueil dorénavant classique – « Écrivains de France ».
On devine la gourmandise de l’acteur d’A bout de souffle, (eh, oui ! je vous renvoie à ses Mémoires, et au film !) à écrire « de France » après ses « écrivains ». Et on la reconnaît lorsqu’on lit ou relit ses évocations d’Anouilh et de Bernanos, de Chardonne et de Déon, de Dupré et de Gaxotte, de Malraux et de Guitry, de Toulet et de Romains, de Valéry et de Judrin. Oui, très « qualité France », Mourlet. Qualité supérieure, même. On ne vous apprend rien. - Pour les amateurs du Mourlet polémiste, créateur du journal culte MATULU, signalons la parution de « Trissotin, Tartuffe, Torquemada – La conjuration des trois ‘‘T’’- Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022 » (Éditions France Univers) – où il réunit près de 70 (!) ans de batailles et querelles, critiques et essais – variés et signifiants. Dont, précision importante, l’éditorial cité en exergue ci-avant : « L’Éléphant dans la porcelaine » – une des merveilles de ce recueil, qui en est prodigue.
De Michel Mourlet :
Écrivains de France (XXème siècle) – Éditions France Univers.
Écrivains de France XXe siècle: Troisième édition augmentée
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Une vie en liberté – Éditions Séguier.
Matulu – Journal rebelle 1971-1974 – Éditions de Paris-Max Chaleil (anthologie du journal Matulu que j’ai eu le plaisir d’établir – je la signale toute honte bue, mais avec un certain esprit de cohérence : Mourlet en fut le fondateur, l’âme, le directeur, etc.).
Et toujours – puisque Michel Mourlet y figure évidemment, parmi 600 autres élu(e)s :
Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi – Éditions de Paris-Max Chaleil.
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