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Michel Magne, le sorcier d’Hérouville

"Les amants d’Hérouville" de Yann le Quellec et Romain Ronzeau – Delcourt/Mirages


Michel Magne, le sorcier d’Hérouville
© Groupe Delcourt

La folle aventure du compositeur et de son château-studio d’enregistrement racontée en BD


Les ruines d’Hérouville agissent comme une machine à remonter le temps. Visiter aujourd’hui ce château en voie d’extinction, dans le Val d’Oise, à quelques kilomètres de Cergy, c’est communier avec le passé, se rendre à un pèlerinage sur le chemin d’un rêve évanoui, dernier inventaire des Trente Glorieuses.

Mausolée délabré

Là, battaient les rythmes d’une musique nouvelle, les artistes s’y pressaient pour enregistrer leur album dans un esprit de fête permanente. La piscine résonne encore des plongeons des stars du microsillon. On entend le bruit des bottes texanes de Johnny sur le rebord et les vocalises des Bee Gees dans l’escalier. Ci-gît, à l’abandon, le mausolée délabré d’un compositeur de musique de films, célèbre dans les années 60/70, dont le jouet partit, un jour, en fumée. Michel Magne (1930-1984) fut le chef d’orchestre de ce pari fou et naïf de faire venir des chanteurs et des groupes du monde entier dans un village d’à peine quelques centaines d’âmes. Magne avait le don pour agréger les talents, dérégler les métronomes et frictionner les personnalités. Ce révolté en puissance ne se résolvait pas à la quiétude bourgeoise.

© Groupe Delcourt
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Il ne se reposait jamais sur ses succès commerciaux, sa volonté de déconstruire son propre système de pensée était plus forte. La folle aventure de ce studio d’enregistrement, incendié puis reconstruit, puis de nouveau abandonné et les déboires financiers et professionnels du maître des lieux qui suivirent, se transmettent de génération en génération. Certains y étaient, d’autres sont passés en coup de vent, la plupart invente, mais ils ont tous cru au pouvoir maléfique de cette bâtisse qui connut jadis les amours de Chopin et George Sand. La légende et les rumeurs ont fait d’Hérouville, le foyer d’une époque complètement révolue, à la fois lieu d’expérimentations musicales et d’une liberté de création sans contrainte. À la fin, c’est toujours les banquiers qui gagnent et remportent la mise. Beaucoup de journalistes ont écrit sur Hérouville car l’imagerie est belle, presque trop. Elle nous change de la laideur actuelle et de son immobilisme mortifère.

Porsche 911 et Rolls Silver Cloud

Quand, dans un même endroit, vous réunissez Eddy Mitchell, Elton John, Bowie, Grateful Dead (leur concert de juin 1971 dans le parc retransmis à la télévision dans Pop 2 reste dans les mémoires des habitants), Magma ou encore Cat Stevens, que vous ajoutez des boissons fortes et des substances planantes, que les filles portent des robes ultra-courtes en tricot et les garçons les cheveux longs, qu’on y débarque en Porsche 911 blanche ou en Rolls Silver Cloud noire, et que les paysans du coin sont les bienvenus, ce rassemblement improbable nous laisse émerveillé. C’était donc ça la mixité sociale !

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Le premier à s’intéresser sérieusement à cette épopée a été Jean-Yves Guilleux, merveilleux réalisateur d’un documentaire de référence « Michel Magne, le fantaisiste pop », sorti en 2009. Il en a exhumé les fastes et aussi l’envers du décor. L’intranquillité de Magne était son terreau propice à toujours s’aventurer vers des projets dingues mais aussi un cercle infernal. Elle le hantera toute son existence. Si ses débuts furent laborieux, son nom apparaît, dès les années 50, aux côtés de Sagan, sa tendre amie et de Juliette Gréco. De Saint-Germain-des-Prés à Saint-Paul-de-Vence, il va rencontrer Vian, Prévert, Aragon, Genet, Cocteau, son copain Vadim et la bande Montand-Signoret-Ventura. Au début des années 1960, Magne s’affiche au cinéma grâce à des collaborations avec Gene Kelly, Deray, Lautner, Borderie, Hunebelle, Costa-Gavras, Molinaro, Autant-Lara, etc… Il composera des dizaines de musiques de films: Un singe en hiver, Mélodie en sous-sol, Fantômas, Les Tontons Flingueurs, la série des Angélique, et un long compagnonnage avec Jean Yanne.

© Groupe Delcourt
© Groupe Delcourt

Beauté fantomatique

Dans une bande dessinée à l’ambiance psychédélique-chic, mélangeant habilement cases et documents d’archives, Yann le Quellec (scénario) et Romain Ronzeau (dessin/couleur) viennent de publier Les amants d’Hérouville aux éditions Delcourt/Mirages. Si les deux auteurs racontent les grandes étapes de la carrière du compositeur, ils s’intéressent surtout à son union tumultueuse avec Marie-Claude, d’abord baby-sitter de ses premiers enfants, puis mère de leur fils. Le charme de cette bande dessinée réside beaucoup dans le portrait de Marie-Claude, sa candeur et sa force, sa beauté presque fantomatique et son attachement à l’artiste. Michel Magne répétait à longueur d’interviews que son art en musique et en peinture reposait sur l’incommunicabilité. Il se connaissait mieux qu’il ne croyait.

Les amants d’Hérouville de Yann le Quellec et Romain Ronzeau – Delcourt/Mirages

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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