Les deux premières phrases du dernier essai de Michel Maffesoli Être Postmoderne (Editions du Cerf, 2018) claquent la porte d’une société et du rayonnement qu’elle avait étendu à tous les domaines de la vie : la politique et les idéologies, les arts, les stratégies militaires et les croyances religieuses, patriotiques et leur cortège de variantes plus ou moins pittoresques.
Tribalisme, nomadisme, hédonisme
« La modernité est lente à mourir, mais son agonie est inéluctable. Les symptômes les plus manifestes sont là : tribalisme, nomadisme, hédonisme ! Le tout baignant dans une atmosphère émotionnelle échappant aux mœurs utilitaires d’une civilisation en déshérence ». Ce verdict formulé depuis plusieurs décennies par l’auteur et repris désormais par nombre d’universitaires et de commentateurs en France et à l’étranger permet à son œuvre d’une inclassable originalité de s’imposer dans le paysage intellectuel. La postmodernité n’est en rien antimoderne, elle est le volcan souterrain qui inonde de ses laves parfois si inquiétantes, mais qu’il serait vain de ne pas contempler, notre incertaine époque, et elle trace le chemin de la renaissance en cours.
Le temps des marches blanches
Depuis la parution de son livre Le temps des tribus, en 1988, couronné par le prix de l’Essai de l’Académie française, l’auteur continue son chemin avec une persévérance à laquelle il ajoute de nouveaux développements alimentés par d’érudites lectures et des références que la doxa répugne à solliciter (Joseph de Maistre, La Rochefoucauld, sans parler de Martin Heidegger). N’en déplaise aux thuriféraires de l’individualisme, tel le talentueux Gilles Lipovetsky, nous assistons à l’obsolescence programmée de l’unique sans propriété. Il suffit pour s’en convaincre que de voir les marches blanches à la suite de la disparition d’un enfant ou d’une joggeuse, les rites piaculaires qui se font jour spontanément pour fonder la résilience d’une ville, d’un quartier sous le coup d’un attentat ou d’un drame de la route. Comme le note Michel Maffesoli, les tenants de l’hypermodernité, modernité tardive, seconde modernité nagent en pleine confusion sémantique en ce qu’ils confondent la société officielle et les plus discrètes communautés officieuses.
Le ver était dans le fruit du progrès
Le motif de leur embarras trouve son origine dans la religion du progrès, jadis glorieuse sous les auspices d’Auguste Comte, et ses concurrents appelés à dominer la scène planétaire de la fin du XIXe siècle et du XXe : on songe bien sûr à Karl Marx, perspicace critique de l’économie politique mais enfermé dans une vision théologique de la politique et du rôle messianique d’une classe universelle – le prolétariat – fourrier d’une bureaucratie d’État. Georges Sorel s’en était fait procureur dans Les illusions du progrès (1908) ; plus tard, en 1946, il se trouvera des sceptiques jusque dans les rangs socialistes, par exemple, Dwight McDonald qui dans sa publication The Root is Man (Le socialisme sans le progrès) prend ses distances avec le dogme du progrès tranchant avec l’atmosphère optimiste de la fin de la seconde Guerre Mondiale. Le ver était dans le fruit. S’appuyant sur la somme anthropologique de Gilbert Durand, il souligne la puissance de l’imaginaire social, aujourd’hui l’attention de tous les commentateurs qui naguère ne lui avaient reconnue aucun intérêt, la reléguant aux vaines fantasmagories sur lesquelles l’École de Francfort ou Georg Lukàcs avaient fondé leur théorie du fétichisme privant l’objet de sa dimension symbolique et rituelle.
Le jeune président entre en scène
Le parti pris de l’espérance, cher à Ernst Bloch, trouve dans cet essai sa formalisation la plus élevée avec cet « amour offrant », expression de Karl Smith, habité par San Casciano, le berceau familial de Machiavel à quelques kilomètres au sud de Florence. C’est selon lui, l’empreinte d’une infrastructure spirituelle sur laquelle repose le sacré, l’en-deçà d’un social purement rationnel. Comment ne pas approcher ces destins brisés par l’engagement dans le Djihad sans interroger l’inconscient collectif et ce groupement des passions que Michel Maffesoli a mis en relief ? À bien d’égards, cet ouvrage est, comme les précédents, précurseur.
La postface de l’ouvrage rédigée par Hélène Strohl, « Emmanuel Macron, Icone ou fake de la postmodernité ? », nous ramène à l’actualité hexagonale, à l’entrée en scène de notre jeune président, sur lequel les bonnes fées n’ont pas manqué de se pencher (adversaires éliminés contre toute attente, opposants médiocres dotés d’une verve littéraire solide mais sans échos, etc.).
Macron, le postmoderne intuitif
Ces pages mettent l’accent sur l’imaginaire du nouveau chef d’État, un homme qui illustre la postmodernité : son aventure personnelle est celle d’une « oxymore » sur pattes, comme ses électeurs le sont également. Il est « en même temps », tandis que Jean-Luc Mélenchon cherche obstinément à renouer avec un autre temps, celui de Victor Hugo ou d’Emile Zola. Hélène Strohl décrit un homme intuitif, bien que formé par l’ENA, capable de sentir l’ambiance d’une France contemporaine, propre à mobiliser l’ubérisation de son charisme, savoir s’il est fake ou icône conclut cet essai passionnant, H. Strohl laisse ouverte la question, car l’opinion publique demeure l’arbitre implacable de cette alternative, le bon fake aime profiter du divertissement qu’il suscite tandis que l’icône pleure d’en avoir fait les frais.
Être Postmoderne, Michel Maffesoli, Postface de Hélène Strohl, Emmanuel Macron, Icone ou fake de la postmodernité, Éditions du Cerf, 2018.
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