Michel Le Milinaire, 92 ans, est décédé samedi 2 décembre. Entraîneur emblématique du Stade lavallois des années 80, il a été en quelque sorte le Guy Roux de l’Ouest de la France, plaçant un temps une préfecture sans histoire sur la carte du football national.
Quand Renaud passait en concert à Laval au début des années 2000, la première chose lavalloise qui revenait à la mémoire du chanteur était l’ancien entraîneur, surnommé en son temps « le druide ». Si Michel Le Milinaire a fait les grandes heures du club mayennais, c’est dans les anciennes Côtes-du-Nord qu’il a vu le jour. Lycéen à Saint-Brieuc, il joue au foot au stade briochin, puis fait son service militaire au Maroc, en 1952, où il est instituteur à l’école musulmane de Fès. Quelques décennies avant Christian Gourcuff, prof de maths avant de devenir l’entraîneur du FC Lorient, Michel Le Milinaire fait partie de ses entraîneurs du Grand Ouest qui ont tâté de la craie blanche et du tableau noir avant de prendre en main sifflets et chronomètres. En fait, il a existé toute une tradition d’entraîneurs de ces régions, entre Bretagne et Anjou, un peu intellos, perpétuée par Jean Prouff, José Arribas, Jean-Claude Suaudeau et Reynald Denoueix, qui ont fait les grandes heures, le premier du Stade Rennais, les trois autres au FC Nantes. Etiquette intello et même un peu gauchisante en ce qui concerne Michel Le Milinaire. Son frère, André, militant à l’UNEF, au PSU puis au Parti socialiste, a son entrée dans le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.
Le Milinaire revient en métropole en 1953 et entre à l’Ecole normale des instituteurs, à Laval. Il intègre l’équipe de foot de l’école, le « Normal Star ». Il joue un temps milieu de terrain au stade lavallois puis au Club athlétique mayennais, où il officie comme entraîneur-joueur. On est alors dans les profondeurs du football amateur. En 1968, après quelques années à la tête de l’équipe réserve, Le Milinaire devient l’entraîneur du Stade lavallois. L’équipe démarre dans le championnat régional amateur et se retrouve en division 1 en 1976. A chaque montée, l’entraîneur breton doit se battre contre les instances du football français mais aussi contre ses dirigeants sceptiques et le maire de la ville, André Pinçon, pour faire accepter l’idée de passer à l’étage supérieur. La montée en D1, c’est peut-être la montée de trop, car elle imposerait au club d’adopter un statut professionnel. Et en même temps, c’est un dilemme, car en cas de refus de monter, le club redescendrait en troisième division. Le groupe Besnier, futur Lactalis, accepte de mettre la main à la pâte. Les pelouses de la France entière découvriront « les Tangos » flanqués de leur fier maillot orange, avec le camembert Président comme sponsor.
Un gauchiste du Stade Rennais et le fils d’un G.I.
Dernière étape avant d’arriver en Bretagne, Laval, ville de garnison un peu triste, s’est toujours vécue comme une simple ville de passage. En plein cœur de ce que Jérôme Fourquet appelle l’Ouest intérieur (une zone comprise entre le Sud de la Manche et le Nord de la Vendée qui s’en sort à peu près, et place forte du « catholicisme zombie »), la Mayenne n’a pas l’identité exubérante de ses voisines bretonnes et normandes. Elle n’a pas de plages non plus. Elle n’a pas eu un vicomte excentrique pour créer un Puy du Fou de la chouannerie. Chaque année, ses lycéens s’en vont garnir les bancs des facs de Rennes, du Mans, d’Angers. Alors, quand Laval s’offre son quart d’heure de gloire chaque dimanche matin sur Téléfoot, c’est un coup de pub inespéré. Les bobines des joueurs sont collectionnées dans les albums Panini, et Zinedine Zidane, le minot de Marseille, a raconté un jour : « Dans l’album Panini, on découvrait des équipes de l’autre côté de la France : il y avait le maillot orange de Laval qui me faisait penser au Pays-Bas de Cruijff… » Certes, le club ne peut guère rivaliser avec le FC Nantes, grand nom du football national et détenteur du « jeu à la Nantaise ». Mais pendant toute la décennie 80, alors que Rennes fait l’ascenseur entre D1 et D2, alors que Noël Le Graët n’a pas encore fait monter Guingamp, alors que Caen n’a pas encore connu ses grandes heures européennes, Laval va tenir son rang dans l’élite du football français et devenir une place forte du football du Grand Ouest. Et à la baguette, il y a toujours Le Milinaire, qui récupère les joueurs dont le Stade Rennais voisin ne veut plus, parmi lesquels Jean-Luc Arribart (qui a fait une grande carrière de consultant TV ensuite), Patrick Delamontagne et surtout Raymond Keruzoré, une sorte de Cantona breton des années 70, dégagé de la capitale bretonne à cause de ses sympathies gauchistes. En Mayenne, la carrière de Keruzoré va trouver un deuxième souffle, grâce à l’entraîneur Le Milinaire. D’ailleurs, quand Laval monte, Rennes redescend en D2, comme dans un cruel jeu de vases communicants.
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Pour compléter l’effectif, le club mise sur une filière d’attaquants ouest-allemands. En 1979, débarque Erwin Kostedde, métis, fils d’un G.I. américain et d’une mère allemande, 34 ans, 90 kilos pour 1 mètre 80, pas le stéréotype du joueur ultra-mobile. La semaine, il ne s’entraîne pas avec ses camarades mayennais mais se prépare en Allemagne. Il arrive un peu avant les matchs à Laval par avion et rentre aussitôt après en RFA où est restée sa famille. Il s’entraîne tout seul dans son coin. A la fin de la saison, il termine co-meilleur buteur du championnat de France et s’offre un triplé contre l’OM. Une autre époque.
Laval-Dynamo Kiev, étape décisive de la guerre froide
Chaque année, le club perd des joueurs, mais chaque année, il les remplace par des gaillards venus du football amateur qui, au bout de quelques matchs, s’adaptent au niveau de la D1. Chaque année, dans son numéro de rentrée, France Football prédit une descente aux Mayennais. Et pourtant, le club déjoue les pronostics. En 1982 et en 1983, il termine même à la cinquième place, suffisante pour accrocher une place en Coupe d’Europe. Débute la folle épopée européenne de Laval 1983-1984. A cette époque-là, les clubs français n’ont pas d’énormes références en Coupe d’Europe, et la sélection nationale n’a pas encore gagné le championnat d’Europe des Nations. Alors, quand Laval tombe sur le Dynamo Kiev, qui compte dans ses rangs l’ossature de l’équipe nationale soviétique, et notamment Oleg Blokhine (Ballon d’Or 1975) et Igor Belanov (futur Ballon d’Or), rien ne parait vraiment faisable mais rien ne semble complètement impossible. Dans les buts lavallois, Jean-Michel Godart débarque de deux années passées à Nœuds-Les-Mines, en deuxième division. Avant de s’envoler pour l’URSS, Le Milinaire est allé voir le Dynamo Kiev en Espagne et au retour, il prévient ses joueurs, pas très rassurant : « Je n’ai jamais vu une équipe aussi forte, vous vous attaquez à un monstre du football européen ». En Ukraine, Laval se fait sérieusement bouger mais tient le 0-0. Godart se souvient : « Blokhine était venu me féliciter à la fin du match et m’avait tapé sur l’épaule. J’avais trouvé ça sympa qu’un Ballon d’or vienne saluer un anonyme comme moi ». Au match retour, au stade Francis Le Basser, Laval, réalise l’exploit. Godart lâche : « Ils nous ont pris pour des Schtroumpfs, on les a bien schtroumpfés ! ». En fait, il a moins désigné ainsi les joueurs de Kiev que les dirigeants de l’AS Monaco, qui se plaignaient que Laval aille représenter le football français en Coupe d’Europe. Au tour suivant, Laval accroche l’Austria Vienne mais est finalement battu.
La remontée avec Rennes
Le président Bisson s’en va en 1986. Bernard Tapie, Claude Bez, Lagardère arrivent dans le football, l’ambiance change un peu, les mœurs aussi. Le Millénaire et Bisson sont réticents à laisser entrer de nouveaux partenaires dans le capital du club. Moins habile qu’un Guy Roux quand il s’agit d’affaires, Laval et son entraîneur ratent le coche de la deuxième moitié des années 80 et ne s’installeront pas dans le paysage du football français aussi longtemps que l’AJ Auxerre. Le club a quand même le temps de voir évoluer sous ses couleurs orange l’attaquant François Omam-Biyik, buteur avec le Cameroun lors du match d’ouverture de la Coupe du monde 1990 contre l’Argentine de Diego Maradona, et de lancer dans le grand bain Frank Lebœuf, futur champion du monde, et qui a encore des cheveux à l’époque. Laval, plus petit budget de D1, descend assez logiquement en 1989, à quelques points du Matra Racing, club maintenu à flot par Jean-Luc Lagardère. Poussé dehors par le club mayennais, Michel Le Milinaire va s’offrir une fin de carrière avec Rennes, qu’il fait remonter en D1, lançant de futurs internationaux comme Sylvain Wiltord et Mikaël Silvestre. Deux ans après son départ à la retraite, en 1996, François Pinault rachète le club breton, qui entre dans une autre dimension.
Avec la disparition de Michel Le Milinaire, c’est le football de papa qui s’éteint, fait de vin chaud à la mi-temps et de moustachus bourrus, d’anciens instits socialisants devenus entraîneurs de D1 un peu par hasard. Le Stade Lavallois a perdu son entraîneur le plus important du siècle dernier, voire du millénaire.
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