Michel Houellebecq publie aujourd’hui Quelques mois dans ma vie (Flammarion). L’écrivain a donné un entretien dense et sincère au JDD, où il est notamment revenu sur ses déboires avec son projet de film érotique ou avec le recteur de la Mosquée de Paris. On lui découvre une sagesse qu’on ne lui connaissait pas, observe notre chroniqueur.
Il n’y a que Michel Houellebecq pour me détourner avec bonheur des sujets politiques qui finissent par lasser, tant ils contraignent à des analyses répétitives ; même si on s’efforce, entre détestation et hyperbole, d’emprunter un chemin de mesure. On pourrait considérer qu’avec lui, on ne quitte jamais la politique tant son génie pour l’invention romanesque l’accorde, avec une intuition absolue, à tous les débats fondamentaux de notre société, à ses angoisses les plus douloureuses.
Il me semble que déjà, nous avons un nouveau Michel Houellebecq dans la forme qui, par rapport à l’ancien, cultive moins le paradoxe, la réponse désinvolte, les aperçus à compléter et une sorte d’indifférence qui paraissait le placer en position décalée à l’égard de l’interrogation, avec une attitude par avance fatiguée.
Partisan du RIP, défenseur de Depardieu, opposant à la GPA et à l’euthanasie
J’ai été frappé au contraire par l’investissement que Michel Houellebecq a mis dans ses répliques, reléguant la moindre incongruité au profit, le plus souvent, d’une approche raisonnable sans que jamais son tempérament exceptionnel et son intelligence décapante lui interdisent quelques points de vue stimulants. Par exemple, quand il déclare qu’être qualifié de droite l’avait toujours « un peu dérangé » mais que « populiste, ça me va ». Avec son adhésion au « référendum d’initiative populaire, à l’élection des juges, enfin à différentes mesures qui me paraissent propres à augmenter la démocratie. À la créer plutôt ». Et sa défiance à l’égard de la démocratie représentative.
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Il défend son ami Gérard Depardieu et, selon lui, « les femmes mentent tout simplement ».
Il maintient, sur le fond, son refus argumenté et moral de la GPA et de l’euthanasie, son inquiétude face à la baisse de la natalité, ses pensées lucidement conservatrices avec une modération dans les jugements qu’il porte, par exemple sur Emmanuel Macron. Avec une bienveillance toute particulière pour Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy qu’il félicite d’avoir traité les magistrats de « petits pois », ce qui me rassure: j’ai au moins un point de désaccord avec un écrivain et un intellectuel que j’admire. Ce qui n’empêche pas Michel Houellebecq d’être infiniment percutant sur les magistrats, la répression et les prisons. Il faut citer: « Indulgente avec des petites ordures brutales et dangereuses, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs, la justice se veut impitoyable avec les puissants… J’insiste également sur l’élection des juges… Il n’est pas acceptable que les juges se refusent à prononcer des peines de prison parce qu’il n’y a pas de places de prison; c’est la responsabilité d’une autre administration que d’en créer, pas la leur ».
Porno: il a la certitude d’avoir été floué
Il y a, dans l’ensemble des échanges médiatiques dont Michel Houellebecq a bénéficié, comme un climat tranquille, une atmosphère presque sereine, des touches de contrition et de repentance: il regrette les propos extrêmes qu’il a tenus sur l’islam – il a un contentieux avec Michel Onfray à cause de la polémique qui a suivi avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris – et se pare de tolérance à l’égard des apparences qui pourraient trancher avec nos habitudes sociales et culturelles, par exemple le burkini.
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Sans doute y a-t-il dans l’apparition de ce Michel Houellebecq moins sulfureux qu’équilibré la conséquence aussi de cet épisode dont il a pâti, qu’il dénonce dans son prochain livre et qui, sur le plan de la pornographie, lui pose question. Il a la certitude d’avoir été floué. Un sentiment surgit également, rare chez lui: celui de ne plus pouvoir tout se permettre à cause de ce qu’il est devenu, de ce que la multitude de ses lecteurs attendent de lui. N’étant plus seulement comptable de lui-même, il se résout subtilement à limiter sa liberté d’être pleinement Michel Houellebecq. Comme une responsabilité qui lui est tombée sur les épaules, un devoir sur son destin.
Michel Houellebecq, avec ces divers entretiens, a suivi la ligne qui avait été définie par son épouse, toute d’ironie tendre à son égard, si fine dans l’appréhension de ce mari hors du commun et indignée comme lui par la manipulation du film pornographique.
À la lecture de cet impressionnant autoportrait de Michel Houellebecq, au travers de toutes les réponses qu’il a livrées, j’ai perçu chez lui l’expression d’une provocation consubstantielle à sa personnalité – Michel Houellebecq n’aura jamais l’esprit ordinaire – mais atténuée par la découverte d’une sagesse qui le conduit dorénavant à poser, sur tout et quasiment sur tous, un regard d’aménité, de bienveillance critique ou de solidarité amicale. Plus rien de délibérément conflictuel, une humeur parfois inquiète, pessimiste mais sans la moindre ostentation: le futur sera comme cela… Cette morale qu’il proclame – « La vie m’ennuie mais je m’ennuie pas dans la vie » résume bien ce qu’il a su faire surgir de lui-même. Il y a là comme un écho d’un illustre devancier littéraire et politique: « Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie » (André Malraux).
Quelques mois dans ma vie: Octobre 2022 - Mars 2023
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