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Michel Houellebecq, vers la douceur

Un Michel Houellebecq plus apaisé dans son nouveau roman


Michel Houellebecq, vers la douceur
Michel Houellebecq dans Thalasso (2019), de Guillaume Nicloux © Les Films du Worso/Collection Christophe via AFP

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, anéantir, a dérouté nombre de critiques qui s’obstinent à tenter de le démasquer derrière ses personnages et à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Houellebecq est un immense écrivain et ses livres sont de purs objets littéraires. Et anéantir est avant tout un roman d’amour.


Il y a deux erreurs communément commises quand on lit Houellebecq. La première, et l’auteur n’y est pas pour rien, est que la construction de sa légende l’a transformé en objet plus médiatique que littéraire, à coups d’entretiens provocateurs et de déclarations sarcastiques. À gauche, on traque ainsi le dérapage raciste, misogyne ou islamophobe. À droite, Houellebecq est enrôlé dans le bataillon néoréac et devient le critique de la modernité et du déclin de l’Occident. Que ses livres en général et le dernier en particulier, anéantir, évoquent cette perspective de manière obsessionnelle est une évidence. Que Houellebecq déplore ce déclin est une autre histoire, plus ambiguë… La jouissance narrative avec laquelle il met en scène une série d’attentats aussi spectaculaires que mystérieux, où la magie noire se mêle au radicalisme écologique, peut en effet interroger sur le peu de tendresse que Houellebecq entretient avec la civilisation marchande.

La seconde erreur, qui découle de la première, est de confondre l’auteur et le narrateur ou encore l’auteur et ses personnages. C’est avec ce genre de vision de la littérature que l’on a renvoyé Flaubert et Baudelaire en correctionnelle pour obscénité alors que ce n’était pas eux qui étaient obscènes, mais la réalité elle-même.

Houellebecq, un écrivain souvent instrumentalisé mais rarement compris

C’est ainsi que sont nés des contresens spectaculaires sur son œuvre, notamment avec Soumission où il décrivait en 2015 la France de 2022 élisant un président islamiste modéré. Il n’était pas là le dénonciateur d’on ne sait quel grand remplacement. Il racontait plutôt comment son personnage, un universitaire, se satisfaisait de cette situation qui assurait un confort moral et sexuel au mâle blanc fatigué.

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Il faut prendre ses romans pour ce qu’ils sont, de purs objets littéraires. On constatera ainsi que le personnage houellebecquien a d’abord fait le constat fondateur dans Extension du domaine de la lutte que la possibilité d’avoir une sexualité heureuse était devenue dépendante de notre place dans les rapports de production. Ensuite, ce personnage a cherché à fuir « l’inconvénient d’être né », comme aurait dit Cioran, et donc, logiquement, d’avoir à mourir un jour. Il l’a fui par le tourisme sexuel dans Plateforme ou par le transhumanisme dans Les Particules élémentaires ou La Possibilité d’une île.

Un roman d’amour où la politique et l’actualité sont toujours présents

Dans anéantir, c’est par l’amour que le personnage principal, Paul Raison, un énarque conseiller du ministre de l’Économie, trouve enfin la solution et transforme son nihilisme en une merveilleuse rédemption automnale, une ultime promenade en forêt de Compiègne d’un homme et d’une femme qui se sont aimés puis ont vécu côte à côte comme des étrangers avant de se retrouver, alors que la mort de l’un des deux est devenue inévitable.

C’est pour cela qu’anéantir a désorienté la critique. Ce livre est un roman d’amour et sur l’amour : sur son usure, sa résurrection, son caractère indispensable dans ce monde de 2027, où en pleine campagne présidentielle, des hackers préparent l’apocalypse. Houellebecq réussit le portrait parfait d’un homme d’État, Bruno Juge, aussi dévoué à la cause publique que dénué d’illusion sur le pouvoir réel du politique. Bruno Juge pratique avec un relatif succès une politique protectionniste mais a bien conscience qu’il ne s’agit que de manœuvres de retardement.

En réalité, anéantir est un roman balzacien. Tous les milieux sociaux y sont explorés. Le monde politique, celui de la police, des médias, du système de santé… Toutes les classes sociales y sont représentées, notamment au travers de la famille de Paul Raison : intellos parisiens, bourgeoisie de province ou classe moyenne en équilibre sur le mur étroit qui sépare les inclus des exclus.

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Balzacien, Houellebecq l’est aussi dans sa manière de ne pas hésiter à entrecouper sa narration de digressions didactiques, techniques ou ironiques sur le nom d’une rue, l’aménagement urbain du nouveau quartier de Bercy, les nombres premiers ou l’évolution des statuts des personnes âgées, on en passe et des meilleures. C’est souvent brillant et drôle, parfois aimablement ennuyeux, comme chez Balzac d’ailleurs. Dans anéantir, un personnage affirme que l’auteur de La Comédie humaine a exploré toutes les passions humaines, « sauf l’amour maternel ». Et Le Lys dans la vallée, alors ?

Un écrivain apaisé

Mais ce léger reproche ne doit pas faire oublier que Houellebecq est un remarquable conteur, nourri au lait des mauvais genres – son premier livre était une monographie sur Lovecraft : fantastique, SF, roman policier. Il a un art certain pour explorer le futur proche qui rappelle celui de J. G. Ballard, l’auteur anglais mort en 2009 qui disait : « J’écris avec un quart d’heure d’avance. » Son quart d’heure d’avance, Houellebecq l’emploie à peindre, avec des dons de paysagiste qu’on ne lui connaissait pas, la lumière jaune du Beaujolais comme à pointer le retour du religieux dans la société, non pas tant par le biais de l’islam qui n’est plus un thème central, que par des cultes new age qui touchent l’élite de la société : la femme de Paul Raison est adepte du wicanisme, une religion néodruidique tandis que sa sœur affiche une foi catholique toute franciscaine. Houellebecq résume, à la moitié du roman, la philosophie de Paul Raison qui est typique de la vision du monde de l’écrivain : « Il avait toujours envisagé le monde comme un endroit où il n’aurait pas dû être, mais qu’il n’était pas pressé de quitter simplement parce qu’il n’en connaissait pas d’autres. » C’est que l’écrivain n’a de cesse, très subtilement, de démontrer le contraire tout au long du livre.

anéantir, dont le titre paraît décidément bien paradoxal, a ainsi transformé l’écrivain des néons froids en un contemplatif presque apaisé qui ne trouve rien de plus beau que le bruit du vent dans les arbres. Mais cette transformation ne surprendra que ceux qui n’ont pas su voir, dans tous les livres de Michel Houellebecq, cette recherche implicite et désespérée d’un endroit où aller, et d’une femme à aimer.

Michel Houellebecq, Anéantir, Flammarion, 2022.

Anéantir

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Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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