Il peut tout jouer : Molière, Guitry, Pinter. Il peut aussi bien travailler pour Py, Deschamps, Ribes ou diriger Michel Bouquet, Catherine Frot, Roschdy Zem. Depuis quinze ans, il enchaîne les triomphes. Il n’a pourtant jamais reçu un Molière… car il y a un rôle que Michel Fau ne sait pas jouer : celui d’artiste de cour, forcément de gauche et jamais en manque d’indignation.
Causeur. Après les Molières, vous avez donné un entretien retentissant au Figaro, reprochant à cette institution de mépriser le théâtre populaire et dénonçant sa soumission idéologique à l’air du temps. Ce qui est nouveau, ce n’est pas que le monde de la culture soit soumis à la doxa d’extrême gauche, mais que certains osent le dénoncer.
Michel Fau. Ce que j’ai dit, c’est que j’étais aux Molières pour parler d’art. Or, pendant cette accablante cérémonie, il n’a été question que de retraites, d’écologie, de cégétisme. Pas une seule seconde, on n’a parlé de théâtre. C’est très grave. Et en même temps, il y a un mépris total du vrai théâtre populaire incarné par Jugnot, Plaza, Ladesou, Laspalès, qui remplissent les salles. Ces gens soi-disant de gauche, qui soutiennent les gilets jaunes, méprisent le vrai peuple !
Pour ma part, je me définis plutôt comme un dadaïste, donc je ne me réclame d’aucun mouvement, d’aucun camp ; ma devise Dada, c’est d’être « contre le goût du jour » ! Les dadaïstes étaient furieux d’être enrôlés dans le surréalisme, car ils ne voulaient surtout pas être un mouvement. Je me sens très marginal. Je suis frappé par la médiocrité artistique de l’époque.
Le gauchisme culturel s’est déployé en même temps que la culture remplaçait l’art…
On a demandé aux artistes d’être des animateurs culturels, voire des assistantes sociales, de faire du théâtre dans les banlieues, dans les prisons, de sensibiliser les jeunes au théâtre, et pour finir, de ne plus faire que ça. Autrement dit, on demande aux artistes de pallier l’incompétence du politique. On a un problème en banlieue, donc on fait un atelier théâtre. D’ailleurs, ils ont fait la même chose avec le sport : un problème, un terrain de foot… Moi, la seule chose qui m’importe, c’est de faire du théâtre et de servir un répertoire ouvert à tous.
On peut faire du théâtre et de l’art en prison comme dans la cour d’honneur du Palais des papes.
Sauf qu’il ne s’agit pas de donner des représentations en prison, mais de monter des pièces avec les détenus. Ce ne sont pas des artistes. Les metteurs en scène qui y vont expliquent toujours qu’ils ont trouvé des comédiens épatants, alors que c’étaient des gens qui avaient tabassé des vieilles ou violé des gamins.
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Comme les artistes n’ont plus de convictions et de motivations artistiques, ils en trouvent ailleurs, dans le sentiment d’être dans le bon camp. C’est ce qui est arrivé à Adèle Haenel, Andréa Bescond, et d’autres. Après tout, peut-être que si je n’avais pas réussi à faire le théâtre que j’avais envie de faire, je serais devenu un voyou, j’aurais foutu le feu aux sculptures de Jeff Koons, à la Comédie-Française ou à l’Opéra Bastille. Je serais allé en prison.
Vous avez une dent contre la Comédie-Française !
Adolescent, j’avais une passion pour la Comédie-Française, il y avait de très grandes personnalités, les plus grandes tragédiennes et des acteurs extravagants ! Antoine Vitez disait que la Comédie-Française devait être un musée. Aujourd’hui, ce théâtre national n’assume plus son rôle, il ne monte ni Corneille ni des auteurs français vivants, ce qui était le cas avant. Ils jouent comme à la télé, avec des micros et ils renient tellement la salle Richelieu, qu’ils se font construire un nouveau théâtre porte de Clichy, en temps de crise et avec nos impôts : les gilets jaunes devraient gueuler !
Revenons à l’hégémonie culturelle de la gauche.
C’est un phénomène très récent ! Avant, on ne s’occupait pas de la vie privée des artistes, maintenant ils doivent dire pour qui ils votent, s’ils sont homosexuels, c’est terrible ! Avant on ne se posait pas ces questions ! On ne se demandait pas si Ionesco ou Claudel étaient de droite. Quand un journaliste me demande pour qui je vote et avec qui je couche, ma réponse est que ça ne le regarde pas. Aujourd’hui, un artiste qui passe à la télévision parle de ses convictions, de la fracture sociale, d’écologie et jamais d’art. L’actuelle directrice du Conservatoire voulait faire interdire Claudel parce qu’il était pétainiste. Je lui ai dit qu’à ce compte-là, elle devrait aussi bannir Schiller, qui était plutôt antisémite. Si on veut qu’un auteur soit irréprochable socialement, alors il n’y a plus de poète, il n’y a plus d’artiste. Si on demande aux artistes d’être des gens bien, des petits-bourgeois, il n’y aura plus Roman Polanski, il n’y aura plus Gérard Depardieu, ni Picasso ou Wagner.
Beaucoup d’artistes se sont soumis, ils ont accepté de penser ou de faire semblant de penser ce qu’on attendait d’eux…
Non, ils pensent comme ça spontanément ! Les artistes sont devenus des petits-bourgeois, donc automatiquement, ils ont des idées politiquement correctes, ils pensent à leurs crédits, à leur retraite et à l’endroit où ils vont partir en vacances avec leurs enfants. Michel Bouquet ne pensait pas à ça !
Venons-en à votre cas. Certes, on ne sait pas pour qui vous votez. Mais en même temps, vous n’avez jamais fait génuflexion devant le milieu. Pourtant, on ne semble pas vous en vouloir de votre liberté, peut-être parce que vous remplissez les salles. Les médias de gauche parlent-ils de vous ?
Oui, j’ai même eu la dernière page de Libération. Pour autant, je n’ai pas la carte, je m’en suis rendu compte quand j’ai cherché des coproducteurs dans le subventionné. Ils m’ont fait payer d’avoir travaillé dans le privé et peut-être aussi d’avoir touché aux vaches sacrées. J’ai osé attaquer Ariane Mnouchkine en demandant pourquoi elle n’était pas à la retraite. Tout le monde y passe, par exemple Jérôme Deschamps, sauf elle qui a 82 ans et touche une des plus grosses subventions de l’État, pour faire un spectacle tous les six ans, bref son statut est totalement illégal. Personne ne dit rien. Tant mieux pour elle. Et elle manifeste contre la réforme des retraites. Elle se l’est toujours joué gauchiste, alors qu’elle est fille de milliardaire. Elle ne voulait pas monter Macbeth parce que Sarkozy était au pouvoir.
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Peut-on être un grand artiste de gauche ?
Un grand artiste n’est ni de droite ni de gauche, il devrait être marginal, et surtout en ce moment. Ça ne nous regarde pas, en fait. Cela dit, le discours de gauche est assez naïf.
Naïf ou opportuniste ?
Charles Berling se disait de gauche alors qu’il a eu son théâtre grâce à Sarkozy, tout comme Vincent Lindon qui donne des leçons et qui était avec Caroline de Monaco, à Monaco !
Adèle Haenel a eu raison de quitter le cinéma.
Bien sûr, et puis, ce n’est pas grave ! Ce n’est pas Maria Casarès.
Le résultat, c’est que beaucoup de gens parfaitement adultes n’osent pas dire en public un quart de ce qu’ils disent en privé
C’est la majorité ! La majorité des artistes pensent un petit peu comme nous, mais n’osent pas le dire. D’ailleurs, je n’ai reçu que des messages de soutien après mon entretien dans Le Figaro de la part de très grands artistes, des gens formidables qui n’étaient pas obligés de le faire. Une seule personne, la productrice du spectacle qui a tout raflé, a écrit un truc dégueulasse : « Place aux jeunes ! » Je lui ai répondu : « Vous avez raison, je suis un vieux ringard. Je vous embrasse », ou quelque chose comme ça. Et savez-vous ce qu’elle m’a à son tour répondu ? « Oh, pardon monsieur Fau, je ne savais pas que vous étiez sur Instagram et que vous alliez lire. Pardon, pardon, j’ai écrit ça parce que j’étais énervée. » C’est la seule réaction négative que j’ai eue. Le président des Molières m’a appelé pour me dire qu’il était désolé que je n’aie pas reçu de prix. Des gens ont déclaré que j’étais aigri, jaloux etc., mais jamais à moi directement.
N’empêche, vos opinions, du moins votre refus de les porter en bandoulière, ne vous ont pas empêché de travailler…
Parce que j’ai travaillé dans le privé et que je remplis des salles ! Mais cela aurait pu être un frein, car à partir du moment où j’ai rué dans les brancards, je n’ai plus eu la carte du subventionné. À l’opéra, ça va mieux parce que j’ai fait des succès aussi, mais je suis interdit dans certaines salles, en particulier à l’Opéra de Paris.
Pourtant, le monde des amateurs d’opéra n’est pas spécialement gauchiste.
Le public, non. Mais les directeurs d’opéra oui.
Croyez-vous qu’on ait raté de grands artistes parce que leurs auteurs n’avaient pas la carte ?
Évidemment. Je suis sûr qu’il y a de grands auteurs et de grandes tragédiennes inconnus. Il y a trente ans, quand la Comédie-Française montait Médée, c’était la grande tragédienne Christine Fersen qui jouait le rôle. À la Comédie-Française, ils ont engagé une jeune actrice inconnue pour jouer Médée, pour quelles raisons ? Marina Hands ou Martine Chevallier auraient été plus à leur place dans ce rôle ! Aucun critique n’ose le dire, à peine admettent-ils que ce n’est pas très réussi.
Beaucoup de ces gens vivent de subventions. On dit que l’exception culturelle a sauvé le cinéma et la culture français, mais ne les a-t-elle pas aussi tués ?
C’est un débat… Pour moi, le début de la fin, c’est la maison de la culture de Malraux, c’est évident. Malraux, qui était de droite, cocaïnomane, etc., a commencé à niveler l’art par le bas, à faire de la démagogie et à virer Barrault. Bref, comme Jack Lang, avec les meilleures intentions il a produit un désastre.
Mais l’idée que tout le monde a le droit à ce qui il y a de plus beau et de plus grand méritait d’être défendue, non ?
D’abord, ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Ensuite, c’était déjà le cas avant Malraux. Avant, même la gauche caviar était cultivée. Maintenant, les gens de la Nupes sont contre l’opéra et l’art théâtral, parce qu’ils estiment que c’est un truc de bourgeois. Et ils n’y connaissent rien, Marine Le Pen non plus. Aucun n’a parlé d’art dans son discours politique. Macron est plus cultivé que Hollande et Sarkozy. Si jeune, connaître Léon Bloy, Samuel Beckett et Édouard Bourdet, c’est exceptionnel. C’est un surdoué. Au moins, avec lui, on peut parler d’art. Mais il est mal entouré. Éric Ruf qui a programmé à la Comédie-Française un Shakespeare où l’on parlait de l’affaire Benalla aurait dû être viré ; ce n’est pas le lieu !
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Y a-t-il une jeunesse susceptible de sauver ce qui semble perdu ?
En tout cas, pas au Conservatoire.
Vous en avez été viré ?
Non, je suis parti avant qu’ils me virent ! Bien sûr, ils n’apprennent plus à dire les alexandrins, la directrice veut faire interdire Claudel, il n’y a plus de travail technique, et elle fait des conférences anti-Macron. C’est son droit d’être mélenchoniste mais dans ce cas, on ne travaille pas au Conservatoire et on n’accepte pas l’argent de l’État.
Les subventions ne sont pas le prix de la docilité.
Tout à fait, mais ce n’est pas le rôle de la directrice du Conservatoire de cracher sur le gouvernement. Elle a été nommée pour enseigner l’art dramatique à de futurs artistes, pas pour former des intermittents gauchistes !
Vous adorez jouer avec les identités sexuelles, normalement cela devrait être porté à votre crédit mais pas du tout, même ça, c’est réac.
En effet, il paraît que quand je joue un rôle de femme, ça enlève du travail à une femme. Par contre quand c’est une comédienne qui joue le rôle de Jason à la Comédie-Française, personne ne dit rien.
Monter La Cage aux folles semble très compliqué. Faut-il en conclure que l’homosexualité a été prise en otage par les LGBT ?
J’aimerais jouer La Cage aux folles parce que c’est une pièce audacieuse. Poiret a fait entrer les folles dans le salon bourgeois en 1973. À l’époque, la moitié de la distribution était homosexuelle. Je voudrais vraiment monter cette pièce, elle est bien construite et délirante. Ce qui est compliqué, c’est de trouver avec qui le faire, mais je ne trouve pas que ce soit une pièce homophobe. Quand on dit que c’est une caricature des homosexuels, je dis que ce n’est pas plus caricatural que Madame Arthur, la Gay Pride ou le mouvement drag-queen.
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Très récemment, vous avez signé la mise en scène de Zémire et Azor à l’Opéra-Comique.
C’est un opéra du xviiie siècle d’André Grétry, compositeur français que tout le monde a oublié. J’aime bien ressortir des œuvres oubliées, c’est passionnant. Après, je monte à La Michodière, pendant le mois de juillet, un vaudeville anglais des années 1970. C’est une pièce écrite par Ray Cooney et John Chapaman qui s’appelle Le Vison voyageur. Quand on me dit que le boulevard est nécessairement une histoire de mari trompé, je réponds qu’Othello aussi. Ça parle de l’humain. En septembre, je monte un thriller psychologique parce que j’adore ça, c’est une pièce française des années 1960 de Robert Thomas qui s’appelle Piège pour un homme seul. Alfred Hitchcock avait acheté les droits pour en faire un film, puis finalement ne l’a pas fait. Il y a aussi de l’humour, mais avec du suspens. Ce sera encore à la Michodière, j’adore cet endroit. Le directeur Richard Caillat est formidable. Et j’ai un rôle de psychopathe.
Finalement, en dépit de votre liberté, vous n’avez pas été rattrapé par la patrouille…
Pour l’instant.
NB. À voir, au théâtre de la Michodière : Le Vison voyageur, de Ray Cooney et John Chapman, du 12 au 30 juillet. Piège pour un homme seul, de Robert Thomas, du 24 septembre au 30 décembre 2023.