Seule la filmographie du réalisateur né en 1931 peut nous faire oublier les gesticulations électorales du moment…
Pendant que certains regardent les meetings de la présidentielle, j’ai passé tout mon week-end à rechercher les DVD de Michel Deville, dans mon fouillis berrichon. Impossible de remettre la main dessus. Où sont-ils passés ? Ils ont toujours eu l’esprit fugueur. La dissidence est leur raison d’être, troublante profession de foi.
À chacun, son vice. Je ne blâme pas les observateurs avisés du monde politique, mais il serait temps de grandir un peu, de ne pas trop surinvestir dans cette campagne qui reste, malgré tout, un exercice convenu et déceptif comme disent les enquêtes marketing d’un produit dépassé. La politique est ce vieux hochet qu’on agite par réflexe et aussi, par lassitude.
Divertissement nostalgique
Pour faire encore durer l’illusion démocratique, croire aux lendemains qui chantent et aux belles phrases qui gonflent dans les arènes municipales, les soirs d’hiver. Entre nous, il n’y a pas plus de suspense dans cette élection que dans la réindustrialisation de notre pays. Je ne veux pas doucher vos espoirs de changement, croyez-en un chroniqueur non-aligné, égaré dans les lointaines provinces, tout ça n’est qu’écume et farces, cette mousse légère qui vient panser votre colère disparaîtra aux saints de glace. Elle ne collera même plus à vos semelles, aux premiers jours de l’été, vous aurez tout oublié. Que restera-t-il après le passage de ce cirque médiatique un peu trop bruyant pour être honnête ? Un divertissement pour adultes nostalgiques des combats d’antan et un grand vide.
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Nous sommes un peuple suffisamment évolué et instruit pour ne pas se vautrer durablement dans les vaines batailles et les discours poussifs. Depuis longtemps, nous avons accepté notre défaite idéologique, économique et culturelle, sans forfanterie, ni honte. Ce détachement viscéral à la chose publique nous est consubstantiel. Nous ne revendiquons rien, nous n’attendons rien. Les alternances nous font seulement sourire et les programmes nous rappellent les cocottes en papier de notre enfance. Elles finissent toujours à la poubelle. La défaite acceptée, voire intégrée est en soi une manière raisonnable d’appréhender le présent et d’esquiver le quotidien.
Cinéma primesautier et cruel
Cette résignation n’est qu’une forme avancée de politesse face aux événements tragiques. Nous valons mieux que les coups de menton des estrades et les leçons d’éducation des plateaux télévisés. Alors, nous cherchons des refuges, des endroits où planquer notre vague-à-l’âme, nos errements non-rentables et ce sentimentalisme si mal cicatrisé. La filmographie de Michel Deville, assez méconnue au demeurant, abrite des parcelles de notre humanité jadis si friable et si désirable. Ses films dépourvus de morgue et de démonstrations de force, dans un halo de lumière, filtraient l’amour amer et l’érotisme chaste. Chez lui, le décolleté soyeux et pudique n’en était pas moins obsédant. Il aura décliné les infinies variations du marivaudage comme un art de vivre nécessaire à la survie de la race humaine. Qui n’a pas vu « Benjamin ou les Mémoires d’un puceau » (1968), « L’Ours et la Poupée » (1970), « Raphaël ou le débauché » (1971) ou plus tard « Péril en la demeure » (1985) ne connaît pas le bonheur instable de ce cinéma incandescent et fugace, primesautier et cruel, dénudé et probe. Comme le sel de mer aux lèvres, ces films excitent la mémoire et ouvrent les vannes du passé. Deville met l’eau à la bouche. Il est certainement le réalisateur qui aura le mieux capté la beauté des corps féminins et les emballements incertains du cœur. Il possède cette férocité aimable qui n’abuse jamais de plans tapageurs ou de poses exacerbées. Il est le réalisateur des tourments intérieurs qui filme, sur la pointe des pieds, l’atroce douleur d’aimer. Sa légèreté et la pétillance de ces dialogues résistent admirablement aux affres du temps. Il n’est jamais banal, jamais brutal. C’est pourquoi, on revient à lui, sans cesse pour retrouver nos élans originels et cette pureté disparue.
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La femme en bleu
Ces films vus à l’adolescence, qui n’avaient pas la prétention d’embrigader, demeurent des bornes temporelles. On se souvient à peine du programme commun ou des privatisations de la cohabitation. Par contre, on rêve certains soirs à Marina Vlady, Catherine Rouvel, Francine Bergé, Simone Bach, Anna Gaël, Lea Massari ou l’admirable Christine Dejoux. Très tard, dimanche dernier, j’ai fini par retrouver « La Femme en bleu » (1973) et « Eaux profondes » (1981). Les coffrets consacrés à l’œuvre complète de Michel Deville datent de presque une quinzaine d’années et leur prix est relativement élevé sur le marché d’occasion, il serait temps de les ressortir avant le premier tour de la présidentielle. Je voterai pour le candidat qui s’engage dans cette voie-là. Pour patienter et mieux connaître le travail de ce réalisateur, nos confrères de L’Avant-Scène Cinéma lui ont consacré un dossier très réussi dans le numéro 688 (décembre 2021).
L’Avant-scène Cinéma – Revue mensuelle – 688 – Décembre 2021