Le 12 juin 1992, Michel Berger et France Gall sortaient un album enregistré intégralement à deux voix, Double Jeu. Un mois et demi plus tard plus tard, le 2 août, le chanteur s’effondrait sur un court de tennis à Ramatuelle. Terrassé par une crise cardiaque, à 44 ans. Ironie du sort, il chantait « Les Élans du cœur » sur ce disque testament. « Quelle importance où et quand ça frappe / On ne se souvient plus, on est dans les vapes. » Il évoquait le pouvoir foudroyant de l’amour dans ce texte, sans se douter que, dans le même élan, la grande faucheuse allait frapper la balle de match. L’annonce de sa mort en a laissé KO plus d’un. Vingt-cinq ans après le drame, son talent manque cruellement dans le paysage de la chanson française, cette momie toujours debout paraît-il mais impossible à dérider.
France Gall et sa seule rivale
A l’heure de la mondialisation heureuse mais impersonnelle, les messages personnels de Berger font toujours le bonheur de ceux qui se refusent à le fuir.
Bercé enfant par les airs de Poulenc joués par sa mère pianiste dans le salon familial, le jeune Michel tâte du Mozart et du Beatles lorsqu’il s’essaye à l’instrument. Puis ses goûts s’affirment rapidement : Gershwin pour l’harmonie et l’optimisme, Ray Charles pour la transe. A l’âge de quinze ans, il sort son premier disque – un E.P. 4 titres -, qui lui ouvre les portes de la génération yé-yé. Ainsi, en avril 1966, il pose sur la légendaire photo du magazine Salut les copains au milieu des vedettes de l’époque. Également promu jeune directeur artistique chez WEA, il signe et produit Véronique Sanson.
En 1973, le premier album de Berger en tant qu’auteur-compositeur-interprète est remarqué, notamment par Françoise Hardy, alors à la recherche de nouveaux collaborateurs. Il lui écrira « Message personnel » la même année. France Gall est pareillement séduite par le talent du musicien. Leur rencontre dans une émission de radio scelle leur destin : quelque temps après, il lui envoie un message très personnel, « La déclaration d’amour», qui touche au cœur les Français. Les deux deviendront inséparables, jusqu’au bout. France n’a eu qu’une seule rivale : la musique.
Berger a déclaré sa flamme à cette muse mystérieuse tant de fois dans son œuvre : « Écoute la musique », « La bonne musique », « Suis ta musique où elle va », « Mon piano danse », « La fille au sax », « La groupie du pianiste », « Jouer du banjo », « Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux », « Mandoline », « Mon fils rira du rock’n’roll »… Sans parler des titres écrits pour sa femme : « Il jouait du piano debout », « Musique », « Tout pour la musique », « Ella, elle l’a », etc., la liste n’est pas exhaustive.
Berger assumera, à juste titre : « La chapelle du rock exclut et méprise souvent les chanteurs de variétés. Je préfère qu’on aime la musique tout court. On évolue avec, partout dans le monde. » A bon entendeur.
Il versait des larmes debout
Son piano dansait, mais pleurait aussi beaucoup. Car les drames n’ont pas épargné le compositeur de Starmania : le départ sans mot dire de Véronique Sanson – son premier amour avant France Gall – au bout de quelques années de vie commune (rupture qui a tant affecté Berger que ses amis ne l’ont plus quitté de peur qu’il ne se suicide), la mort de son frère aîné à l’âge de 42 ans, en 1982, la maladie incurable de sa fille Pauline, décelée la même année, et le décès de Balavoine, son alter ego musical, dont il dira dans une formule macronienne avant l’heure « Daniel, c’était la vie, l’énergie et la tendresse en marche… »
Le répertoire de Michel Berger compte ainsi nombre de joyaux à la noirceur extrême, enfilés sur le chapelet maudit de ses épreuves intimes : « Je reviens de loin », « A quoi il sert », « Pour me comprendre », « Ça la fait pleurer pour un rien », « Seras-tu là », ou encore « Le paradis blanc ».
Enfin, bien sûr, son piano bastringuait, pour lui fournir des tubes à la pelle, qu’il savait à l’occasion accommoder pour les autres – comme le fameux « Quelque chose de Tennessee » -, inutile de les rappeler ici.
Océan de mièvreries pour les uns, constellation romantique d’outre-temps sublime, forcément sublime, pour les autres, la discographie de Berger scintille d’une lumière singulièrement attachante aujourd’hui. A découvrir ou redécouvrir en profondeur, car comme dit le refrain : « Si tu plonges (dans l’œuvre de Michel Berger), y’a des montagnes d’amour qui t’attendent. »
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