Quatre policiers de la BAC de Marseille ont été mis en examen pour violence illégitime sur un jeune, en marge des émeutes de juillet. L’un d’entre eux est en détention provisoire. En réaction, des syndicats policiers ont appelé « à ne plus prendre d’initiative » sur le terrain. Michaël Taverne, député du Rassemblement national dans la 12e circonscription du Nord (Hautmont), et ancien policier, commente le malaise croissant de la profession.
Causeur. Les événements de Marseille font apparaître une fronde inédite. Tout d’abord, pensez-vous que l’incarcération de ce policier est justifiée ?
Michaël Taverne. Je pense que les policiers ne sont pas au-dessus des lois, mais qu’ils ne sont pas en-dessous des lois non plus ! Nous focalisons, aujourd’hui, le problème sur les policiers, alors que c’est l’insécurité, la délinquance, les émeutiers, le réel problème. On ne peut évidemment pas se satisfaire qu’un policier qui défend la République, en prenant des risques tous les jours pour rétablir la sécurité dans le pays, soit mis en détention provisoire. La police nationale a le monopole de la violence légitime. Normalement la détention, c’est l’exception.
Ces dernières semaines, c’est tout comme si c’était devenu la règle pour les forces de l’ordre. Il y avait pourtant d’autres alternatives, comme mettre un bracelet à domicile au policier accusé à Marseille. Je ne pense pas que ce policier puisse divulguer des informations, ou perpétrer un délit en récidivant. Selon moi, cette décision de justice est disproportionnée.
Et parlons de la récidive : des individus sont arrêtés 20 fois, 30 fois par la police, et repartent libres d’un tribunal. Ce deux poids deux mesures est insupportable. Je suis désolé qu’un policier, qui essaye de faire son métier du mieux qu’il peut, dorme derrière les barreaux. J’ai été policier pendant 22 ans. Nous sommes toujours sur le fil du rasoir.
On parle tout de même d’un jeune qui aurait été tabassé. La présomption d’innocence du policier est-elle bafouée, selon vous ?
La présomption d’innocence des policiers est trop souvent bafouée par le pouvoir politique. Il suffit d’entendre le président de la République, après l’affaire Nahel : inexcusable, inexplicable, etc. François Hollande avait fait pareil, dans l’affaire Théo. Ce n’est pas le rôle d’un chef d’Etat de se prononcer sur ce type d’affaires. Laissons la justice faire son travail ; nous n’avons pas tous les tenants et aboutissants. Avant tout et avant d’accabler la police, soyons conscients que la France entière est surtout choquée… de voir ses commerces pillés, ses rues saccagées. C’est une violence insupportable. Nos policiers sont confrontés en première ligne à ces violences. Imaginons qu’un jour, ils posent les casques, les boucliers et rentrent chez eux pour de bon… Ce sera l’insurrection totale.
S’il y a violence illégitime dans l’affaire marseillaise, ce que je n’exclue pas, alors laissons l’enquête en cours, mais la place du policier n’est pas en détention ! Pour nombre de policiers, c’est clairement la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Nous sommes confrontés à un laxisme judiciaire indécent. Pierre Palmade est allé deux jours en prison, avant d’être placé sous surveillance… Les policiers sont confrontés aux mêmes individus, qu’ils finissent par reconnaître et même à nommer lorsqu’ils patrouillent : voilà le réel ! Cette « fronde » des policiers, je la comprends, elle est légitime. J’ai pratiqué le métier pendant 22 ans. Et il y a 20 ans déjà, quand je commençais ma carrière, on disait déjà qu’on touchait le fond.
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A vous entendre, cette affaire du jeune Hedi, qui prétend qu’il rentrait de son travail de nuit et qu’il a été roué de coups à Marseille, présente donc des similitudes avec celle impliquant le policier ayant tué Nahel ?
Oui et non. Pour Nanterre, il s’agit d’un coup de feu qui a été filmé, on sait tout de même à peu près ce qui s’est passé. Pour Marseille, on a trop peu d’informations. On suppose un tir de LBD, qui aurait touché la tête, mais il n’y a pas d’images. Seulement, le problème, à lire toute la presse et à écouter les élus Nupes, c’est évidemment la police ! Eh bien non, le problème : ce sont les délinquants. S’il n’y a pas de délinquants, il n’y a pas de tirs, pas d’armes intermédiaires, pas de refus d’obtempérer, pas d’émeutes, pas de pillages… Ce laxisme judiciaire qu’on connaît depuis 30 ans, nous sommes en train de le payer cher. Nahel, même si son décès est un drame terrible, était un délinquant. S’il y avait eu une réponse pénale adaptée à tous ses démêlés avec la police avant le drame, il n’aurait pas été au volant de ce véhicule le 27 juin.
S’il y avait une réponse pénale, cette « fronde » des policiers n’existerait pas.
Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, a apporté son soutien aux policiers récalcitrants en allant rencontrer leurs syndicats à Marseille, samedi. Il affirme qu’un policier n’a pas sa place en prison, dans les colonnes du Parisien, qui font par ailleurs couler beaucoup d’encre. Ne sort-il pas de son devoir de réserve ?
La dernière fois que Frédéric Veaux est allé officiellement à Marseille, dans le cadre de la réforme de la PJ, il ne fut pas accueilli avec grand enthousiasme… D’après ce que je sais, il n’a pas bien été accueilli samedi non plus. D’un point de vue politique, je pense qu’il a été envoyé par Gérald Darmanin, pour calmer la situation. Mais les policiers sont dans une telle situation de ras-le-bol, que ça ne changera rien maintenant.
Il sort quelque peu du cadre et s’est permis une liberté de parole, en disant que la place d’un policier n’est pas en prison avant d’être jugé. Mais à sa place, je soutiendrais aussi mes hommes. Lorsqu’il sortait du tribunal, le policier en question a crié : « je n’ai rien fait », devant ses collègues et ses enfants. Cette mise en détention provisoire envoie un message terrible : les jeunes sont de moins en moins nombreux à passer les concours de police. Déjà que la gendarmerie et la police connaissent une grosse vague de démissions. C’est inquiétant.
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Cette affaire marseillaise donne effectivement à voir de nouveau les symptômes d’une police qui se sent de moins en moins légitime et soutenue. Nous entendons en permanence dans les médias et dans les rangs de l’extrême gauche que “la police tue”. La presse internationale assimile nos émeutes de fin juin à “Black lives matter”. Mais, on n’entend jamais que la vie des policiers compte aussi. Vous avez donc, vous-même, exercé en tant que policier également. Comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Que vous disent vos collègues dans votre circonscription ?
Le moral des policiers est en berne. C’est trop dur depuis trop longtemps. Dans certains territoires perdus, on n’hésite plus à tirer sur des policiers ou sur les pompiers. On n’hésite plus non plus à frapper des médecins dans certaines banlieues. Comment peut-on dire que la police tue ? Aucun policier n’a d’envie criminelle au petit matin. Et l’arme qu’il porte est là avant tout pour le protéger. Beaucoup de policiers sont morts en service. Beaucoup de pays nous envient d’avoir notre cadre légal et précis de la légitime défense. Dans les banlieues, ce n’est pas lors des affrontements avec la police que les délinquants meurent, c’est justement quand elle n’est pas là, lors des règlements de compte que cela se produit ! Je ne dis pas que tout est parfait dans la police nationale, mais elle reste l’institution la plus contrôlée et la plus sanctionnée de la fonction publique.
Pourquoi tant de policiers votent-ils pour Marine Le Pen ?
Marine Le Pen est vraiment cohérente. Et elle utilise un discours de terrain qui parle aux policiers. Quand Marine Le Pen dit soutenir la police plutôt que les voyous, ou dénoncer le laxisme judiciaire, c’est évidemment soutenu par la majorité des Français et son programme est le plus crédible. Cette tendance se généralise, au-delà de l’électorat de la police.
Emmanuel Macron a dit, hier, aux informations de 13h, soutenir les policiers et la présomption d’innocence. Ce “en même temps” est-il audible dans les temps sécuritaires troublés que rencontre la France ?
Pas du tout. Et il faut bien sûr rappeler qu’Emmanuel Macron a en réalité été le premier à piétiner cette présomption d’innocence pour le policier de Nanterre. Auprès des policiers, je peux vous dire que cet épisode n’est pas passé.
Il y a une présomption de culpabilité, privilège réservé aux forces de l’ordre. Les policiers n’écoutent plus Emmanuel Macron, qui est le premier à faire des confusions.