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Le roman du terrorisme des années 70

« Souvenirs du rivage des morts », de Michaël Prazan (Rivages Editions)


Le roman du terrorisme des années 70
Michaël Prazan © Vincent Alvarez

Sous la forme d’un roman noir, Michaël Prazan montre la violence des années de plomb à travers le monde. On y suit Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée rouge japonaise, confronté à son passé meurtrier.


Dans son roman noir, Souvenirs du rivage des morts, Michaël Prazan nous remet en mémoire cette actualité des années 70, quand l’idée révolutionnaire prétendait réenchanter le monde. 

Malgré Mao en première page de la Cause du peuple avec Jean-Paul Sartre comme « grand leader », la France sut néanmoins faire l’économie du terrorisme d’ultra-gauche. Seul un Pierre Goldman, auquel Prazan a consacré par ailleurs un autre livre, aurait pu incarner cette dérive. Sa vie tourmentée relie tous les fils des illusions révolutionnaires et des fantômes de l’après seconde guerre mondiale. 

À cette époque, la cause palestinienne mobilise les imaginaires du monde entier. Le keffieh a supplanté le poncho et le béret de Guevara. Ce n’est pas encore le Coran qui est donné à lire comme bréviaire révolutionnaire, mais Frantz Fanon théorise la violence libératrice pour le colonisé. Ces années de braise ont heureusement fait long feu, mais elles ont su tracer un autre sillage, celui du terrorisme planétaire dont l’islam conquérant a su apprendre les leçons. Si la Palestine ne fait plus rêver les septuagénaires de 68, sa mythologie reste toujours active chez ceux qui ont fait de la détestation d’Israël leur raison de vivre. Cette autre histoire reste à écrire. Passons…

Du Japon à l’Allemagne en passant par le Liban

Souvenirs du rivage des morts  se lit d’une traite. D’une écriture vive, il décrit cette dynamique qui a, pour un temps, ensanglanté les rêves et les cauchemars d’une jeunesse ayant l’horreur nazie en héritage. C’est cet héritage que les cinéastes RW Fassbinder et Volker Schlöndorff ont instruit à leur manière. 

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Le choix d’avoir raconté cette saga par le biais d’un roman, d’abord focalisé sur le Japon, permet à Prazan d’entrer dans la psychologie des personnages, tous plus forcenés les uns que les autres. Qu’est-ce que des Japonais ont dans la tête quand ils viennent mitrailler des pèlerins portoricains à l’aérodrome de Tel Aviv en 1972 ? De cette attaque, aucun des assaillants ne devait survivre. Le seul rescapé, Kozo Okamoto a exigé du tribunal israélien d’être exécuté. Pensaient-ils combattre cette figure avancée de l’impérialisme dont le FPLP leur avait décrit les méfaits dans les camps d’entrainement libanais? Quand dans un camp de la Bekaa, un Palestinien du FPLP dit à Yasukazu Sanso son admiration pour Hitler et la manière dont il a liquidé les juifs européens, le Japonais est troublé, mais son trouble ne l’incite pas à rompre avec la mécanique qui va le dévorer. De quelle humanité se réclament-ils donc? C’est ici que la dimension sectaire est la plus évidente. 

Ces jeunes Japonais sont en effet des survivants des massacres purificateurs dans les montagnes enneigées de Nagano menée par la future Armée rouge japonaise où les purges sont de règle pour éliminer les déviants, les faibles, les faux communistes, les traîtres. Le système totalitaire y atteint son paroxysme. Yasukazu est renommé Yasu quand il participe, lui aussi, au mouvement étudiant anti-américain et devient un soldat de l’Armée rouge unifiée. Et il doit alors à son tour se livrer à des purges pour éviter d’avoir à faire son autocritique : il dénonce à tout de bras ses camarades ou les oblige à battre à mort un des leurs.

C’est quoi un terroriste?

C’est à Bangkok que Prazan va faire se croiser l’histoire japonaise du terrorisme avec l’histoire allemande, des années plus tard. L’Allemand, se nomme Angie. Il est au bord de la piscine de l’hôtel, où Yasu séjourne en vacances avec ses enfants et petits-enfants. Il vit sous une fausse identité, dans la clandestinité depuis 40 ans. Angie en est sûr, il a reconnu l’ancien homme de confiance de Wadie Haddad dans les camps palestiniens. Yasu devra l’affronter mais aussi affronter sa propre famille car sa fille Hiromi a compris. Les masques tombent et bientôt son petit-fils demande à Yasu : « Grand-père, c’est quoi un terroriste ? »

Plus intéressant que Les Bienveillantes de Littel, dont la complaisance esthétique pour le sadisme nazi était insupportable, le roman de Prazan fait le lien entre passé nazi et présent gauchiste avec comme dénominateur commun cet objet répulsif absolu, constitué par le signe Juif et/ou Israélien. Prazan dévoile ce point aveugle qui reste probablement toujours incompris ou refuse d’être compris par les toutes bonnes consciences en Occident. Israël reste LE tabou sans cesse présent mais occulté. Faire d’Israël un État criminel, semblable au régime nazi, permet d’effacer à peu de frais, la charge de culpabilité de la shoah.


Souvenirs du rivage des morts de Michaël Prazan (Rivages).

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Jacques Tarnero est essayiste et auteur des documentaires "Autopsie d'un mensonge : le négationnisme" (2001) et "Décryptage" (2003).

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