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De Duras à Molinaro, des Saintes Écritures à James Bond

Michael Lonsdale est mort


De Duras à Molinaro, des Saintes Écritures à James Bond
Michael Lonsdale en 2008 © BALTEL/SIPA Numéro de reportage: 00566222_000053

Disparition de Michael Lonsdale à l’âge de 89 ans, acteur de cinéma et de théâtre transfigurant tous les genres.


« Il faut vivre, il n’y a pas moyen de faire autrement » implorait-il, face à un Bartleby mutique et impénétrable. Lonsdale, c’était d’abord une masse, une carrure, un physique hors du temps, hors des modes, une force ténébreuse dont l’étrangeté était accentuée par cette voix traînante, monocorde en apparence, lascive parfois, qui laissait filtrer (sans que l’on s’y attende) un son plus aigu, plus équivoque, une respiration comme exténuée, quelque chose d’étouffé et de terriblement vivant à la fois. D’éminemment littéraire. Nous passions de l’état de sidération à l’intranquillité, cet équilibre précaire lui était propre, un jeu à l’économie, une forme de placidité angoissante, rigide par son code vestimentaire respectueux des bons usages et follement débridée dans le regard lointain, inquiétant, abyssal. Á la limite de l’implosion. D’attentatoire au système huilé. De forcené, en somme. Lonsdale était cet oxymore ambulant du cinéma des années 1960/1970. Dieu merci, nos cervelles en formation ont été imbibées par cette instabilité jouissive. Nombre d’adolescents réfractaires avaient trouvé leur double. Lonsdale brouillait les normes académiques, le beau, le laid, le triste, le boulevardier, le spirituel, il donnait corps à un ensemble d’impressions et de sensations contradictoires. Caractère indéterminé, faux-jeton, ambivalence et puis cette puissance terrassante qui balaye tout. Il était un guide non-aligné. Le poids des mots n’était pas encore parasité par cette recherche absurde d’action. Les réalisateurs n’étaient pas devenus des artificiers de la pellicule. L’acteur avait alors la maîtrise du rythme et du temps, nous étions suspendus à ses lèvres. Qu’allait-il nous dire cette fois-ci ? Tel un messie des salles obscures, son message n’était jamais binaire, il se révélait souvent, avouons-le, totalement indéchiffrable. Où voulait-il en venir exactement ? Comme s’il y avait un double-tiroir, un sens caché, une énigme à découvrir dans chacune de ses apparitions. Cette carrière internationale qui s’étend sur plusieurs décennies s’apparente à une longue route de pénitence pour un pèlerin médiatique.

Relire notre entretien de 2015: Michael Lonsdale: un homme et un Dieu

Lonsdale distillait le dialogue avec une langueur infernale qui nous ouvrait les vannes d’un monde parallèle. L’indicible était son royaume. Une sorte de poésie de la monotonie. Il révélait nos sentiments les plus ambigus, les plus enfouis. Nous nous sentions poisseux et heureux à chacun de ses passages. Indistinctement, nous étions captivés par son aura. Nous aurions bien été incapables de définir précisément pourquoi. Il fallait tout le talent de ce second rôle d’élite pour interpréter tant de notables en lisière de la société. La marge était sa voie sacrée. La bizarrerie, son chemin de croix. Á la frontière du réel, allant jusqu’à troubler notre horloge interne, il excellait dans les interstices. Il appartenait à cette race disparue de seconds rôles déterminants (Paul Crauchet ou Jean Bouise), des acteurs qui apportent leur singularité sur un plateau. Une minute à l’écran en leur compagnie en vaut soixante chez d’autres. Visage poupin sur cheveux longs, mélange improbable de vieux hippie et d’aristo en fin de course, de sérieux ahuri et de drôlerie intello. Et puis ce don pour la réserve quand tant d’autres acteurs mitraillent le texte, l’expulsent avec une suffisance gourmande, Lonsdale le gardait en bouche, l’aplatissait pour le rendre plus efficace, plus violent, plus dérangeant. Avec lui, l’abîme était proche, l’abandon avait un goût de victoire. Je l’ai beaucoup aimé dans le registre de la comédie populaire franchouillarde, il y installait son mal-être et anoblissait le genre par sa seule présence en apesanteur. Il élevait une pantalonnade au rang d’art et essai par deux répliques sorties de nulle part. Avec Roger Moore ou Louis de Funès, en abbé ou en PDG, boutiquier mal-aimé ou milliardaire soupe au lait, en robe de bure ou en smoking, Lonsdale était cet anti-héros maniéré essentiel quand le metteur en scène avait le désir inconscient de donner à son œuvre, une couleur d’éternité. Lonsdale ne vieillissait pas, il était sans âge déjà à vingt ans. « Personne ne m’aime et je veux savoir pourquoi » lui faisait dire Truffaut dans Baisés volés. Je l’aimais et je me fiche bien de savoir pourquoi.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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