Je l’avoue, ça me faisait mal aux seins de payer le salaire de Guillaume Meurice. Mais demander des têtes, ce n’est décidément pas mon truc.
Je sais, ça énerve mes amis. Ils voudraient que j’applaudisse au licenciement de Guillaume Meurice. Je n’y arrive pas. J’ai les meutes en horreur, même quand je suis d’accord avec elles. Même quand elles ont raison.
Je déteste l’humour de Guillaume Meurice. Il m’est arrivé de rire en l’écoutant, je n’en suis pas fière. Comme le dit Philippe Val, ce rire est un rire grégaire, un rire de connivence, d’entre-soi. Il n’oblige pas à un pas de côté, il ne provoque pas une petite bagarre intérieure, il permet de jouer au résistant en crachant sur le nazi du moment – au choix, les adversaires de l’avortement, les électeurs de Zemmour, les riches, les ploucs qui roulent au diesel ou votre servante. Je n’ai jamais entendu Meurice prendre le risque de chatouiller son public en attaquant ses vaches sacrées. Féministes, djihadistes, militants LGBT, artistes engagés et wokes décérébrés, il y a pourtant l’embarras du choix, en plus, il suffit de les citer. Il a eu mille occasions de se fendre la poire sur Mélenchon. Il aurait pu se gondoler sur les salopards du 7 octobre et leur QI de singe (désolée, mais un type qui appelle ses parents pour hurler qu’il a tué dix juifs, a un QI de singe et je suis sympa). Mais non, Meurice préfère courageusement cogner sur les électeurs du RN, qui sont méchants et racistes, les journalistes de CNews, qui sont méchants et racistes, et Benyamin Nétanyahou, qui est aussi méchant et raciste puisque tout le monde le dit.
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Je ne sais pas si Meurice est antisémite et je m’en fous. J’ai tendance à croire que sa blague sur le « nazi sans prépuce » n’a fait marrer que ceux qui l’étaient déjà. Peu importe le prépuce, c’est la nazification des Israéliens, surtout au moment où ils viennent de subir un pogrome, qui est insupportable.
Puisque le crime est constitué, on se demandera pourquoi je n’approuve pas le châtiment. D’abord, l’indignation ne suffit pas. Aucune instance ne peut affirmer avec certitude que le crime est constitué. Certes, Meurice pourrait être condamné devant la dix-septième chambre – ce dont je doute. Veut-on vraiment que des juges décident si une plaisanterie est cachère ou pas ? Faudra-t-il créer une police de l’humour qui ira chercher les contrevenants au petit matin ? Je ne veux pas vivre dans un monde où les blagues limites (mes préférées) sont proscrites. Le mauvais goût est un droit de l’homme. Et puis, les juifs ont d’autres problèmes que des mauvaises blagues. On ne devient pas plus antisémite en écoutant Meurice que « facho » en regardant CNews. Enfin, je ne vois pas l’utilité de créer un martyr, même s’il s’est démené pour allumer le bûcher en adressant un grand bras d’honneur à sa direction – laquelle, exceptionnellement, a réagi avec fermeté. Pour tous les gogos qui le prennent pour Voltaire qu’on assassine, ce limogeage est la preuve que les juifs ont le bras long.
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Il est vrai que c’est (c’était) l’argent des contribuables. Je l’avoue, ça me faisait mal aux seins de payer son salaire. Mais demander des têtes, ce n’est décidément pas mon truc. Je n’ai pas non plus envie que Charline se retrouve au chômage. J’aurais préféré que France Inter, touchée par la grâce du pluralisme, adjoigne à Meurice un coloc vaguement dissident – et drôle tant qu’à faire. Pas un facho, ni même un vrai type de droite mais tiens, me disais-je, pourquoi pas Blanche Gardin. Une fille qui ose blasphémer MeToo, c’est qu’elle en a, non ? Eh bien, je ne sais pas ce qu’elle doit se faire pardonner, mais maintenant elle coche toutes les cases. Une vraie born-again. Participant à une soirée Voices for Gaza – so radical-chic ! –, elle a joué un sketch sur une réunion d’Antisémites Anonymes: – « Bonjour, je m’appelle Blanche et je suis antisémite. » « Ne t’inquiète pas, lui répond un comparse, ici tu es dans une “sale place”, personne ne te jugera car nous sommes tous antisémites. » Au second degré c’est marrant, au quatrième, c’est puant. La suite est un festival. Au comparse qui lui conseille de remonter sur scène, elle répond : « Ce serait trop de pression, il faudrait que j’aille chercher un Molière et je ne peux pas, il faudrait que je sois islamophobe, comme Sophia Aram. Mais je peux pas être islamophobe, parce que je suis antisémite. L’un exclut l’autre en fait. Si tu es islamophobe, ça te protège contre l’antisémitisme, c’est comme l’herpès. Si tu l’as à la bouche, tu peux pas l’avoir au cul. » Vous voulez le sous-texte ? Primo : pour réussir dans le showbiz, il faut être bien avec les juifs, donc islamophobe. Deuxio : l’antisémitisme est une invention destinée à faire oublier l’islamophobie et les crimes israéliens. Grosse fatigue.
Finalement, Gardin ne fera pas l’affaire. Je ne me vois pas défendre son droit de dire des saloperies. J’ai mes limites. Et mes doutes. Certains jours, je me dis que cette obstination à défendre la liberté d’expression de ceux qui ne pensent pas comme moi (et parfois ne pensent pas du tout) est absurde. Aujourd’hui, par exemple. Après le sketch de Gardin, je ne suis pas d’humeur voltairienne. Pour me calmer, je vais aller manifester en soutien à Sophia Aram. Je suis sûre que je retrouverai Guillaume Meurice et toute la bande de Charline. Et en attendant, chère Sophia, bienvenue chez les méchants. Tu verras, on y rigole beaucoup plus que chez les dames patronnesses de France Inter.
PS. Notre cher Jonathan Siksou vient de recevoir un très mérité Grand prix de l’Académie française pour Vivre en ville (Le Cerf, 2023). Bravo à lui ! Si vous l’avez raté à sa sortie, c’est l’occasion de vous jeter sur ce délicieux texte.