Serge Gainsbourg a été l’un des plus grands artistes français du XXe siècle. Un poète hypersensible doublé d’un immense mélodiste. Parce qu’une station de métro doit bientôt porter son nom, les néo-féministes attaquent sa vie-son œuvre. Non mesdames, le grand Serge n’était pas le prédateur de vos fantasmes.
Il devra aller loin, le client, pour se faire poinçonner avec classe. Aux Lilas (93) ! À la Porte des Lilas façon Grand Paris, pour être exact. Le quartier n’est pas riant mais ne boudons pas notre plaisir. La station Serge Gainsbourg sera idéalement située dans le prolongement de la Mairie des Lilas, juste avant Romainville. Et il y aura même une statue en bronze du grand Serge.
Ah, ce poinçonneur ! Composé en 1958, le premier tube du jeune chanteur est repris par les Frères Jacques qui en font un phénomène et Hugues Aufray lance sa carrière grâce à sa propre version. Mieux encore, reprise en hébreu après la tournée des Frères Jacques en Israël, elle devient un chant martial : Sayarim (éclaireurs ou gardes-frontières). Aucun rapport avec l’originale mais cela prouve les qualités de mélodiste universel de notre héros.
Mais 4000 féministes ne sont pas d’accord. Elles l’ont fait savoir sur Change.org. Haro sur le pornographe ! Le pédophile ! Le misogyne ! Le sale bonhomme. On a des preuves, messieurs-dames : son œuvre entière !
Bon, évaluons tout de suite la grinche et les motifs d’icelles. La propre fille de Serge l’a rappelé au monde entier. L’homme, qui se lavait comme un chat (dans son bidet), était un père pudique et respectueux.
Rappelons que Serge, en vrai, était un puritain, mal à l’aise devant le porno et juste avide de transcendance. Le contraire d’un violeur, d’un sale type. Injurier comme il l’a fait Catherine Ringer en lui rappelant son passé d’artiste porno n’était pas très gentil ni bienveillant. Mais l’homme avait été sincèrement choqué. C’était moche, c’était sale. Il ne sortait pas de ce milieu.
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Bref, Gainsbourg est le plus innocent de tous les condamnés. On l’aura compris, et même radoté : la logique woke veut déboulonner tout talent blanc, mâle et patriarcal. C’est signé. Beigbeder, Gainsbourg, Garrel ou Jacquot, mort ou vivant : on trouvera bien un truc. Plutôt paradoxal dans notre société où Gabrielle Russier (on se rappelle le scandale de 70, la prof et son élève…) est la Première dame de France. Mais pour n’importe quel artiste, écrivain ou chroniqueur, peu importe : s’il est blanc et qu’il a plus de cinquante ans, c’est l’échafaud. Et quand l’homme est irréprochable, on s’attaque à l’œuvre. Comme les maos : révolution culturelle oblige. Si ce n’est pas de la dictature ou du fascisme, je n’ai rien compris à l’Histoire.
Gainsbourg n’a jamais forcé personne à rien, ni pratiqué d’odieux chantages ou touché un corps sans consentement. Quant au concept d’emprise, depuis Ronsard, on sait que le mot est synonyme d’amour. On a envie de le hurler encore : seul le viol est interdit. Notre artiste a chanté la transcendance, il a mis en vers et en musique tous les côtés de l’âme humaine, de la plus noble à la plus crasse. Et, situé entre les deux, cette difficulté, pour un homme, de voir sa propre fille devenir une femme. Il a appelé Chopin à la rescousse pour le chanter, fait un hymne quasi liturgique de cela. Le Dieu des Chrétiens nous dit de ne pas succomber à la tentation. Serge, parce que cela ne l’a jamais démangé, s’est amusé à jouer avec l’idée. Il n’y a pas plus innocent, monsieur le juge ! En fait, il n’y a pas plus grand. Devant l’horreur de la vie et des bas instincts, il a inventé les mots et la musique. Et la musique tend vers Dieu. On est loin du baiser forcé ou de la main au cul. Personne, dans quelque campagne reculée, n’a bousculé sa fille dans la grange parce qu’il avait entendu Lemon incest.
Avec Je t’aime moi non plus, Gainsbourg a imposé la France partout dans le monde. Nous sommes un grand pays parce que les Japonais adorent Gainsbourg, que les Jamaïcains s’en influencent et que les dieux pop d’alors ont été soufflés.
La station Serge Gainsbourg nous ramène à un temps où Serge allait se réinventer, quand le twist d’un roulé de jambes allait enterrer la Rive Gauche, les années 50, le vieux monde d’après-guerre, Philippe Clay, André Claveau, Sidney Bechet…
Il fallait renaître (J’ai retourné ma veste le jour où je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison). Ce fut spectaculaire. À coups de poupées de cire et de son, Serge se retrouva en double page de Salut les Copains.
Ce qu’on ne lui pardonne pas, c’est d’avoir été unique. Misogyne, prétend la pétition ? Qu’est-ce donc que cette bête-là ? Initiales BB ou Harley Davidson nous montrent une walkyrie, une Salomé, une guerrière. N’est-ce pas aimer les femmes que d’être fasciné par elles ?
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Les féministes veulent que les femmes soient des hommes. Rien de plus, rien de moins. Puis dans Initials B.B., Serge cite Pauwels : était-il en plus d’extrême droite, lui aussi ? Chouette ! Une autre pierre dans le jardin. Une station de métro Lucien Rebatet ne ferait pas plus scandale.
Après le jardin, et après l’ouverture de sa maison, une station Serge Gainsbourg s’imposait. Davantage qu’une rue David-Bowie (Paris 13e) qui, pour le coup, sent le caprice pour fans.
Sa maison doublée d’un musée rencontre un incroyable succès. C’est booké jusqu’à la Trinité. Les fans hardcore n’y apprendront pas grand-chose mais ils verront cet intérieur resté intact depuis la mort du chanteur, cendriers avec mégots compris.
Ce que Gainsbourg laisse est immensément plus grand que lui-même. L’homme fut mon héros. Il m’a fait découvrir le génie juif, comme Dylan ou Freud, et la force immense de la chanson. Il m’a grandi. Ce qu’il porte aujourd’hui, c’est tout ce que notre après-monde a perdu. Ça vaut bien une station de métro.
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