Que le « porc » lynché en meute s’appelle Weinstein ou Ramadan, le but de la glorieuse révolution MeToo reste le même: en finir avec le désir hétérosexuel masculin.
« Sortir de l’hétérosexualité ». Cette aguichante injonction était le titre d’un festival féministe organisé à Paris du 24 au 26 septembre. Quelques jours avant l’événement, le site des Inrocks a publié un entretien avec les trois organisatrices, qui a remporté un franc succès. Le salmigondis improbable de Juliet Drouar, Juliette Hammé (de l’émission de radio « Gouinement lundi ») et Tamar, qui a beaucoup tourné entre amis, a suscité des fous rires carabinés, réconciliant droite et gauche, réacs et progressistes et même hommes et femmes. Dans l’échantillon représentatif de mes copains que j’ai sondé (qui comporte quelques féministes béats), la réaction a été, à 100 % : « Mais elles sont dingues ! La fin de l’hétérosexualité, ce sera sans moi. » Il faut croire que la libido l’emporte encore sur l’envie éperdue d’être dans le bon camp.
« Régime politique hétérosexuel »
On apprend dans cet entretien qu’après « avoir entrepris l’an dernier de dénaturaliser le mot “femme” en travaillant sur le désalignement genre/sexe » (comprenne qui pourra), le festival s’attaquait cette année « au régime politique hétérosexuel ». « L’hétérosexualité est la pierre angulaire de la construction du patriarcat et les féminismes en parlent sans jamais la nommer », assène d’entrée Juliet Drouar. Sur le dernier point, elle n’a pas complètement tort. La proposition de ce sympathique trio peut passer pour radicale, voire pour complètement folle. Elle est l’aboutissement logique, sinon la vérité profonde, de la révolution #metoo. Et, c’est pas pour me vanter, comme dit Basile, mais je l’avais bien dit – Muray aussi, bien mieux et beaucoup plus tôt que moi. L’objectif, ou au minimum l’agenda inconscient, du féminisme policier et plaintif qui est, avec l’écologie, une des deux religions obligatoires de l’époque [tooltips content= »Un coup de chapeau à Bernard Pivot qui a blasphémé les deux en même temps en écrivant : « Dans ma génération, les garçons recherchaient les petites Suédoises qui avaient la réputation d’être moins coincées que les petites Françaises. J’imagine notre étonnement, notre trouille, si nous avions approché une Greta Thunberg. » »](1)[/tooltips], n’est pas de faire advenir un monde plus juste et égalitaire, mais d’en finir avec le désir masculin. Si la masculinité est toxique, il est logique de vouloir la faire disparaître. Notre cher Alain Finkielkraut a repéré une perle de l’écrivain Lionel Duroy qui déclare à Télérama qu’il a souvent éprouvé « la honte d’être un homme » et qu’avec le temps, « l’agressivité de l’acte sexuel » lui est devenue « difficilement supportable ».
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Exagération littéraire ? Peut-être, mais on exagère beaucoup. Pas un jour ne se passe sans que l’on entende parler violences conjugales, « féminicides », harcèlement sexuel, culture du viol, comme si la violence et la souffrance constituaient l’ordinaire de la vie des femmes dans notre pays. Ainsi a-t-on accrédité l’invraisemblable amalgame qui fait de tous les hommes des cogneurs, des harceleurs ou des tueurs en puissance. C’est le désir masculin qui est criminalisé, en particulier quand il s’adresse aux femmes. On suppose que, dans le monde délivré de l’hétérosexualité, les hommes auront le droit de fricoter entre eux. « La femme aura Gomorrhe et l’homme aura Sodome », comme l’écrit Vigny dans La Colère de Samson.
Or, cet appel à nous délivrer de l’hétérosexualité intervient alors qu’elle ne sera bientôt plus indispensable à la survie de l’espèce. On a encore besoin des hommes comme fournisseurs de semence, mais déjà la rencontre avec l’autre sexe n’est plus nécessaire. On peut imaginer que ce sont les nécessités de la survie de l’espèce qui ont jeté les deux sexes dans les bras l’un de l’autre, autrement dit que le désir a été la ruse inventée par l’humanité pour sortir gagnante de la bataille de l’évolution. Aussi invraisemblable – et peu souhaitable – que cela semble pour les individus d’aujourd’hui, qui s’inscrivent encore dans la summa divisio entre hommes et femmes, si demain, nous n’avons plus besoin, pour procréer, de supporter les tourments, les embarras, les souffrances de la rencontre, il y a peu de chances que nous continuions à nous les infliger.
Les porcs à l’échafaud !
En attendant que les hommes deviennent des femmes comme les autres, ce qui, espérons-le, demandera quelques générations, l’ordre néoféministe veut voir des têtes tomber. Les charrettes se succèdent, en Amérique, le monde du cinéma et surtout de la musique est décimé – parmi les derniers cloués au pilori médiatique, Placido Domingo a renoncé à se produire au Metropolitan Opera le 25 septembre. La guillotine numérique tourne à plein régime, amenant chaque jour son lot de coupables expiatoires. Certains ont très certainement commis des fautes ou des crimes, d’autres sont clairement innocents. D’autres encore, qui ne sont pas toujours d’irréprochables gentlemen, connaissent leur quart d’heure de pilori médiatique pour une main baladeuse, un propos un peu leste ou une blague lourdingue (quoique souvent drôle), à l’image de notre Bigard national qui a rencontré Daoud Boughezala.
Beaucoup, comme Éric Brion, le « porc zéro » de BalanceTonPorc, reconnaissent les faits qui leur sont reprochés. En mai 2012, après avoir bu quelques coupes avec Sandra Muller, il lui a bien dit : « Tu es brune, tu as de gros seins, tu es mon type de femme. » S’étant fait rembarrer, il a lâché : « Dommage, je t’aurais fait jouir toute la nuit. » Le lendemain, il s’est excusé par SMS. Ces phrases anodines à défaut d’être distinguées, lui vaudront un enfer quelques années plus tard. Au moins, Éric Brion a-t-il obtenu réparation: le 25 septembre, le Tribunal de Paris a estimé que la fondatrice de BalanceTonPorc était coupable de diffamation et l’a condamnée à lui verser 15.000 euros au titre de préjudice moral. Elle a annoncé qu’elle ferait appel.
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Tous ceux qui sont pris dans la mécanique accusatoire des réseaux sociaux encourent la peine de mort sociale. De ce point de vue, la ténébreuse affaire de la Ligue du LOL a de quoi susciter l’effroi, puisque 14 personnes, essentiellement des trentenaires, ont perdu leur emploi – et, bien au-delà, l’existence qu’ils menaient jusque-là –, sans la moindre preuve de leur culpabilité et sans la moindre intervention de la Justice, congédiée au profit de procès populaires menés en meute et sur la place publique (voir mon enquête). La facilité avec laquelle nous revenons à la loi de Lynch révèle la minceur de la couche de civilisation sous laquelle grondent nos instincts les moins avouables. Ceux qui insultent, menacent et vouent aux pires maux le ou les harceleurs du jour, comme ils injuriaient hier les signataires de notre « Appel des 343 salauds », arborent une conscience immaculée, mais on aimerait savoir ce qui les distingue de leurs cibles.
Le sort fait aux protagonistes des scandales emblématiques, Harvey Weinstein, Jeffrey Epstein et, à une échelle plus hexagonale, Tariq Ramadan, est peut-être plus révélateur encore de la laideur de l’unanimisme. Ne parlons même pas de la présomption d’innocence piétinée. C’est un déchaînement de boue et de haine d’autant plus satisfaite que rien ne s’oppose à elle, puisqu’il n’y a pas de défense. Le violeur, comme le fraudeur fiscal, n’est pas un criminel qu’il faut punir, mais un monstre qu’il faut retrancher de l’humanité pour étancher la soif de « justice » des victimes. On espère que Weinstein et Ramadan auront droit à des procès équitables, mais l’opinion a déjà tranché. Quant à Epstein, amateur de jeunes filles venues des quartiers pauvres, même la mort ne lui vaut pas ne serait-ce qu’une infime once d’indulgence. Cyril Bennasar relève le défi et se lancer dans l’exploration du cerveau reptilien de l’homme occidental en quête de jouissance.
Victorieuses, les professionnelles de la délation planteraient leur talon dans le cadavre de leurs ennemis si elles portaient encore ce colifichet patriarcal. Délivrez-nous de ces dinosaures, proclament-elles. On ne saurait mieux dire que l’homme sexué est une espèce vouée à la disparition.