Plongée en eaux troubles dans l’Indiana. Avec Méthode 15-33, Shannon Kirk donne un premier thriller bluffant. Noir plus que noir. On pense à des romans comme Mygale de Jonquet. Des perles. Initialement paru dans la collection « Sueurs froides » des éditions Denoël, ce roman court, incisif et haletant reparaît en poche dans la collection Folio policier des éditions Gallimard. La traduction, signée Laurent Barucq, est de haut vol.
300 pages de thriller
Expliciter le titre du livre serait une erreur. On peut dévoiler le synopsis, selon les mots de l’éditeur : « Imaginez une jeune fille de 16 ans, enceinte et vulnérable, que l’on jette dans une camionnette crasseuse. Vous la croyez terrifiée ? Bien au contraire, elle n’est pas comme les autres, elle ne ressent aucune empathie. Un handicap qui va devenir une force redoutable : méthodique et calculatrice, elle met au point un plan d’évasion où rien n’est laissé au hasard. Dès les premières minutes de son enlèvement, elle se focalise avec calme et détermination sur deux choses : sauver l’enfant qu’elle porte et se venger. Sa volonté de fer et son ingéniosité seront ses meilleures armes contre la perversité de ses oppresseurs, et il ne lui restera alors plus qu’à attendre le moment idéal pour lancer son attaque ». Le lecteur débute le roman et pense plonger en terres connues, roman noir ou thriller sur fond d’enlèvement d’enfants, d’adolescents. Sauf que l’histoire attendue se termine vite. Alors le véritable thriller de Shannon Kirk prend son envol. Un essor auquel l’auteur nous prépare dès les premières pages. Méthode 15-33 est si dense et riche qu’il est difficile d’indiquer tous les éléments passionnants qu’il contient. Une efficacité en 300 pages.
Plongée dans l’Amérique profonde
Des bribes du plaisir de lecture ressenti, donc. L’ambiance géographique, entre Indiana, Chicago et New Hampshire. Peu urbain, sauf en de rares pages, le roman nous plonge dans l’Amérique profonde. L’Illinois et l’Ohio sont à deux pas, Milwaukee à un saut d’avion. Détroit et les Lacs à l’horizon.
Chicago ressemble à une base arrière, celle du FBI justement et de deux protagonistes du roman, Roger Liu et Lola. Les enquêteurs du Bureau. On pense aux noirs de Bacall et Bogart. En même temps ce thriller est d’une actualité époustouflante. Neurosciences et individus à l’esprit différent de l’esprit commun. Du mien, au moins. Le tout dans une ambiance rap/Dr. Dree, mâtinée d’Only lovers left alive pour l’ambiance road movie de l’enquête. Riche et dense, on vous disait. Et encore, cela laisse à peine entrevoir ce qu’est Méthode 15-33. Une grande claque. Car Shannon Kirk réussit une gageure pour le moins originale. Le roman ne mêle pas seulement Amérique contemporaine et ambiance noire traditionnelle, roman noir et thriller. L’auteur parvient à jouer avec les codes des deux genres, et même à se jouer de ces codes.
Un roman libertarien?
Le lecteur se sent un tantinet manipulé, mais c’est pour la bonne cause. Du moins, celle d’une héroïne dont il faut taire le nom. Thriller psychologique ? Sans aucun doute. Mais plus encore : le thriller psychologique est dans l’écriture elle-même du roman, ce qui en fait bien plus qu’un roman de genre (ceci dit évidemment sans jugement de valeur quant aux « genres », tout au contraire). Au point que l’on se demande parfois qui de l’auteur du livre ou de l’héroïne est véritablement réelle et par conséquent qui vit en terres de fiction. Impossible d’expliciter ce sentiment, que seule la lecture peut rendre.
Disons simplement que ce roman dont l’histoire est racontée en alternant les narrateurs, outre ses rebondissements à l’imprévisibilité détonante, pose des questions dénuées de morale. On pourrait même dire que le roman propose une vision bien peu morale ou éthique de la justice. Il y a de la vengeance dans l’air. Et parfois, neurosciences à l’appui, l’idée que des individus différents, plus intelligents peut-être que la moyenne, pourraient être des locomotives, y compris économiques. Méthode 15-33, premier thriller idéologiquement libertarien ? Peut-être… On est loin du littérairement correct. Je ne serais pas surpris de découvrir une lectrice d’Ayn Rand en Shannon Kirk. Et férocité, esprit calculateur ou préméditation ne viennent pas toujours du psychopathe que l’on croit…
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