Quand le confinement berrichon se transforme en foire à la brocante
J’envie mes confrères encartés, éditorialistes du troisième âge, qui profitent de ces journées immobiles pour penser le monde d’après. Ils pourraient tapoter nonchalamment sur leur clavier, à la feignante, ouvrir la fenêtre, profiter du beau temps, rêvasser à cette caissière du Franprix aux seins lourds ou à une côte de bœuf persillée à souhait, mangée un été, sous la tonnelle, et prendre cette pause sanitaire pour des vacances forcées. Ils ont bien mérité de partir à la retraite, ils nous doivent au moins ça. Ont-ils envisagé d’accepter l’inacceptable et de se taire tout simplement ? En attendant la deuxième vague, ils ne renoncent pas au trop-plein, ils sont ivres de mots, de théories, d’injonctions, d’actions à distance. Ils sont incorrigibles dans leur vaine productivité. Même si toutes leurs prédictions politiques, économiques, culturelles et sociétales ont échoué, toutes leurs gesticulations n’ayant apporté que désordre et chaos, ils continuent à s’exprimer sur le devenir du pays, péremptoires souvent, gaulliens parfois, chiffres à l’appui toujours, et agissant pour notre bien commun, la main sur le cœur. Le doute ne les atteindra donc jamais comme s’ils étaient programmés pour nous désoler chaque jour, chaque année, chaque décennie de plus. On peut tout leur reprocher sauf leur régularité dans l’erreur et ce don inné pour nous fourrer dans des situations impossibles.
Toujours quelque chose à dire
Nous sommes trop respectueux des personnes âgées, nous les avons laissées divaguer sur les antennes sans leur couper le sifflet. Naïvement, je croyais qu’après un tel désastre, le silence aurait été une solution de repli, décente et profitable à tous ces commentateurs satisfaits. Qui pourrait nier la faillite de notre modèle après ce virus ? Mais non, ils ont encore des choses à nous dire. Nous préférerions qu’ils végètent devant leur télé et chassent les mauvaises herbes dans leur jardin. Ils imaginent déjà, une société plus respectueuse de la nature, aux rapports de classe moins brutaux, certains vont même jusqu’à exiger que notre démocratie se réinvente. Avec leur concours, évidemment !
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Pour tout vous avouer, ils me mettent mal à l’aise. Où puisent-ils cette force dans leurs certitudes ? Ces vieux ambitieux résistent à tout, aux changements de majorité, d’actionnaires, à l’honneur surtout. Ils sont dans le poste depuis sa création et je comprends aujourd’hui pourquoi j’ai échoué dans toutes mes tentatives d’élévation sociale. Ils avaient pour eux une énergie folle, une volonté de gladiateur, une assurance qui donne le vertige, le talent de faire reluire leur propre personne, ne le nions pas, c’est une qualité de nos jours, soyons bons princes. Ces « Conan-le-barbare » de l’info ressemblent beaucoup à Arnold, ce jeune culturiste autrichien à l’accent tranchant qui tînt Hollywood dans ses bras musclés à force d’opiniâtreté. Et moi, qu’est-ce que je fais pendant qu’ils réfléchissent à notre sort, à notre futur « vivre ensemble » ?
Je m’abandonne à mon incurable dilettantisme
Ce matin, j’ai passé une heure sur le site de l’entreprise 3M et ai été émerveillé par la variété des masques, j’ai presque eu envie d’en faire une collection, quels beaux objets !
Le chanteur Christophe qui amassait de la quincaille et des synthés me comprendrait sûrement. Puis, j’ai été captivé par un article de Rustica qui m’apprenait que les loups sont entrés dans le Morvan. Un chauffeur de taxi en a photographié un de nuit, sur la route.
Je ne suis pas fier de moi, ma seule création depuis deux mois de confinement à la campagne est l’invention d’une nouvelle stratégie de cuisson des chipolatas sur le barbecue. J’ai réussi à parfaire une technique qui saisit la chair sans la brusquer, évitant ainsi le goût désagréable du carbonisé. Pourrais-je breveter ma méthode ?
Des amis écrivains m’ont conseillé de relire, en cette période « charnière », des textes substantiels qui nourrissent l’esprit, pour voir plus loin, pour dépasser mes réflexes, pour m’armer face aux nouvelles catastrophes. Je suis resté sourd à leurs appels. J’ai honte, je n’ai pas réouvert Proust, ni Maistre, ni même Bloy, je me suis laissé emporter par ma vague érotico-seventies-pathétique. Ma dernière lecture en date s’intitule Les Filles de Madame Claude (Un empire qui ne tient qu’à un fil) de Elisabeth Antébi et Anne Florentin paru chez France Loisirs en 1980. Ce n’est pas glorieux, je le confesse. Le Canard enchainé avait pourtant salué cet ouvrage : « Un livre rose où l’on décrit par le menu, avec doigté, le célèbre harem où se sont succédé pendant quinze ans plus de cinq cents jeunes filles ». Je suis irrécupérable. Je ne prends au sérieux que les ébats, les débats m’ennuient.
Pendant que mes camarades refont le monde, j’ai démonté mon antique « Télécran », cette tablette magique de mon enfance. C’était bien avant les cristaux liquides, j’ai passé ma journée à m’informer sur ce jouet disparu grâce au livre Jouets cultes de Pascal Pinteau (nouveau monde éditions) et j’ai fait la rencontre de son improbable inventeur, André Cassagnes, un électricien de Vitry-sur-Seine au milieu des années 1950. « Pour effacer, il suffit de retourner l’appareil à plat et de lui donner des mouvements de va-et-vient comme pour tamiser le sable » indiquait la notice. J’aimerais tant effacer ces deux derniers mois.
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