Souvenons- nous : en septembre 2015, Cameron habitait au 10 Downing street, Matteo Renzi rayonnait de sa juvénile ardeur au Palais Chigi, à Rome, espoir d’une social-démocratie européenne peinant à trouver ses marques dans le fracas du monde, la Pologne n’avait pas encore basculé dans l’ultraconservatisme catholique, François Hollande, bien qu’impopulaire, pouvait encore rêver de rejouer un match indécis face à son vieux rival et complice Nicolas Sarkozy. La montée en puissance des forces dites populistes sur tout le continent était certes préoccupante pour les pouvoirs en place, mais on s’interdisait d’imaginer qu’un an plus tard, le jeu de massacre démocratique des pouvoirs établis ait provoqué une telle hécatombe.
Tusk, Cameron et Renzi? Kaputt!
Au petit matin du lundi 5 décembre 2016, le champ politique européen ressemble à celui d’Eylau décrit par Victor Hugo : vainqueurs à Vienne, certes, où un vieux grognard écolo a défait le jeune diable boiteux de la droite extrême, mais autour, que de cadavres ! Cameron l’anglais ? Terrassé par le Brexit ! La libérale Pologne de Donald Tusk ? Retournée à ses passions bigotes et nationalistes ! Renzi l’espoir florentin d’une Italie régénérée ? Bouté hors de Rome par une coalition allant de la droite extrême à la gauche radicale ! Hollande de Paris ? Acculé à la reddition avec sursis par la mutinerie de ses propres troupes ? Rajoy de Galice ? Toujours vivant, certes, mais en si piteux état qu’il est bien en peine de se poser en grand d’Espagne dans la tourmente qui s’annonce.
Reste Angela Merkel, la Prussienne. Elle sera, nulle n’en doute, confirmée, le 7 décembre, comme candidate à la chancellerie par son parti, la CDU, réuni en congrès à Essen. Elle seule sort indemne, ou presque de la furieuse mêlée de l’année précédente, avec des chances raisonnables de se succéder à elle-même à l’automne 2016. Qu’importe que mes voisins périssent, si cela me permet de survivre !
Car il ne faut pas se leurrer : septembre 2015, ce mois terrible où s’est, en fait, décidé le sort de ses petits camarades européens, nous étions au paroxysme de la crise migratoire. C’est elle, et nul autre qui, par ses imprudentes déclarations de bienvenue générale à toute la misère du monde, a ouvert les vannes.
La crise migratoire (mal) gérée en solitaire
C’est elle, qui sans consulter personne, est allée à Canossa, pardon, à Ankara, pour obtenir, à prix d’or, du sultan Erdogan la fermeture de ces mêmes vannes. Pendant ce temps-là, le flux, loin d’être tari, se détournait vers Calais et Lampedusa. Contrairement au football, sur le champ géopolitique, il est parfois payant de jouer perso. Nul ne doute aujourd’hui que la question migratoire a été déterminante dans la victoire du Brexit en Grande-Bretagne, qu’elle a fédéré, contre Bruxelles et Berlin, les nations d’Europe centrale et orientale, qu’elle a contribué, en France, à déchirer encore plus une gauche secouée par les attaques terroristes contre ses citoyens.
Merkel est aujourd’hui la reine d’une basse-cour européenne entourée de canards boiteux : la France aux abonnés absents pour cinq mois, l’Angleterre tout entière occupée à gérer son Brexit, l’Italie décapitée et au bord du chaos politique, l’Espagne à la merci d’un renversement de majorité aux Cortés…
Obama parti, elle se trouve, seule face à un Poutine qui n’en fera qu’une bouchée si Donald Trump décide de ne pas poursuivre la ligne d’affrontement avec la Russie, en Syrie et en Ukraine, de son prédécesseur. Ce n’est pas son annonce d’augmenter le budget allemand de la défense de 1,2% à 2% du PIB qui risque de faire trembler le Kremlin ! Angela Merkel sera peut-être réélue, car les Allemands lui sauront gré d’avoir fait passer leurs intérêts immédiats avant tout, mais elle risque fort de se retrouver, aux yeux de l’Histoire, comme le fossoyeur en chef de l’utopie européenne. N’ayant jamais vu d’occurrence de la féminisation de nom de métier pour celui consistant à creuser des tombes, je m’en voudrais d’être le premier à l’utiliser.
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