Angela Merkel s’est sagement tenue loin des micros et caméras après l’annonce des résultats des élections régionales dans trois Länder allemands, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Saxe-Anhalt. Elle ne devait s’exprimer que ce lundi, en fin de matinée, laissant les représentants locaux de son parti, la CDU, commenter l’issue d’un scrutin où ils étaient en première ligne.
Contrairement à ce qui se passe en France, les élections régionales, principalement celles concernant les seize Länder du pays, ne sont pas seulement des élections intermédiaires où le peuple sanctionne ou conforte le pouvoir en place au niveau national. Ce paramètre n’est pas sans influence, certes, mais joue souvent à la marge, la personnalité et le bilan des ministres présidents de région sortants constituant le critère majeur du choix des électeurs.
On attendait donc, chez les voisins et partenaires de l’Allemagne, avec intérêt et, pour certains observateurs étrangers, un brin d’anxiété ou de joie mauvaise — selon les options idéologiques —, les effets de la politique migratoire de Berlin, ouvrant toute grandes les portes du pays aux participants à la plus grande migration des peuples depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Le peuple allemand allait-il plébisciter la politique « généreuse » de la chancelière ou, au contraire, lui infliger un camouflet tel que sa reconduction, lors des élections législatives de l’automne 2017, soit sérieusement obérée ? Eh bien, c’est ni l’un, ni l’autre !
Une mise aux normes européennes du paysage politique allemand
L’événement de ce dimanche est, certes, la percée spectaculaire du parti AfD (Alternative pour l’Allemagne), anti-européen – il est né dans le sillage de la crise de l’euro – et opposant farouche à la politique migratoire de Merkel. Il obtient 10% des voix en Rhénanie-Palatinat, 15% en Bade-Wurtemberg, et 24% en Saxe-Anhalt, un Land de l’ex-RDA. Une fraction non négligeable de l’électorat allemand s’est donc clairement exprimée contre l’accueil à bras ouverts des réfugiés, installant pour la première fois depuis 1945, un parti de la droite extrême à un niveau aussi élevé dans le paysage politique allemand. Ceux-là ont voulu sanctionner la chancelière, sans se laisser intimider par les accusations de néo-nazisme lancées par leurs adversaires. C’est plutôt une mise aux normes européennes du paysage politique allemand qui est intervenue.
Cependant, une lecture plus attentive des résultats électoraux est de nature à tempérer les angoisses des fans de Merkel, en Allemagne et au-delà. Son parti, la CDU, pâtit de la fuite de quelques pourcentages d’électeurs vers l’AfD, mais moins que son principal concurrent (et partenaire de la coalition au pouvoir à Berlin) le SPD du vice-chancelier Sigmar Gabriel. La « triangulation » opérée par Angela Merkel, se positionnant au centre gauche de l’échiquier politique, pro-immigration et antinucléaire, affecte la gauche traditionnelle aussi bien que les Verts, qui se sont fait confisquer par la chancelière leurs thèmes de prédilection. A l’Est, c’est aussi le parti protestataire Die Linke, refuge des nostalgiques de l’ex-RDA, qui dégringole au profit de l’AfD.
On notera également comme un événement « historique » : l’accession des Verts au statut de premier parti dans un Land, le Bade-Wurtemberg, où le ministre président sortant Winfried Kretschmann obtient plus de 30% des voix. Même si la chute de son allié SPD le prive d’une majorité au Landtag, il est peu probable qu’une « coalition des perdants (CDU, SPD et Libéraux), mathématiquement majoritaire puisse l’empêcher de rempiler… Ce catholique pratiquant a réussi à devenir l’incarnation d’un région fondamentalement conservatrice en dégauchisant l’écologie politique, affirmant sans rire que les Verts étaient « le parti de l’automobile » au pays de Daimler-Benz, et en déclarant « prier pour Angela Merkel » dont il salue la politique migratoire. Tout cela, y compris les prières que ce dévot effectue réellement, prononcé avec un accent du terroir à couper au couteau, qui fait merveille dans les zones rurales… Dans le Land voisin de Rhénanie Palatinat, les Verts, canal historique, ont pris une claque monumentale. Dans ce Land, c’est la sociale-démocrate sortante, Malu Dreyer, qui ramasse la mise, sur une équation personnelle lui évitant le discrédit du SPD fédéral.
La perspective d’un putsch interne à la CDU s’évanouit
Les candidats CDU qui avaient pris leurs distances avec Merkel (Julia Klöckner en Rhénanie-Palatinat et Guido Wolf en Bade-Wurtemberg), dans l’espoir de limiter l’ascension de l’AfD ont échoué, ce qui éloigne la perspective d’un putsch interne à la CDU avant les élections au Bundestag. De plus, la fermeture de la route des Balkans a fait chuter considérablement l’afflux des migrants, et les manigances d’Angela Merkel avec Erdogan pour tarir le flux à la source n’offusquent que les partenaires européens de l’Allemagne, dont les populations ne sont pas appelées à désigner les membres du prochain Bundestag.
Le pari politique de la chancelière est donc en passe d’être gagné : en dépit de la percée de l’AfD, elle garde toutes les chances de se succéder à elle-même, alors que son principal concurrent, le SPD entre dans une crise d’orientation et de leadership qu’il aura du mal à résoudre avant l’an prochain.
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