J’avais décidé, dans cette histoire de réforme des collèges, de ne pas mettre mon grain de sel. Je connaissais la triste comédie, c’était la même à chaque fois qu’un ministre voulait laisser sa marque, à part peut-être avec François Bayrou qui avait réussi l’exploit de rester Rue de Grenelle sous deux présidents de la République. Bayrou avait compris une chose simple : il était impossible d’aller contre les pédagogistes qui avaient fait du ministère leur citadelle et avaient avancé leurs pions depuis la réforme sur le collège unique en 1975, que le gouvernement soit de gauche ou de droite. Il avait certes réussi à stabiliser le front, comme le maréchal Foch lors de la bataille de la Marne. Mais, après son départ, l’offensive avait repris de plus belle.
Donc, cette énième réforme portée par NVB a rallumé l’affrontement entre les élitistes et les égalitaristes, les républicains et les démocrates. Chaque camp a ses noms, qui montent au feu avec les mêmes arguments depuis vingt ans. Déploration décliniste, parfois un peu stérile et répétitive, contre aménagement matois du désastre par le nivellement, qui favorise la reproduction bourdivine contre laquelle, pourtant, ce collège unique était censé lutter. J’ai senti une certaine lassitude. Bien sûr, tout au long de ma carrière de prof, qui a duré une grosse vingtaine d’années, passées pour l’essentiel dans un collège de ZEP, j’étais clairement dans le camp des républicains, des sales élitistes, des pleureuses.[access capability= »lire_inedits »] Comment aurait-il pu en être autrement : je suis le petit-fils d’un hussard noir, pupille de la nation, repéré, durant les années 1920, dans sa classe de petits paysans barbouillés, par le curé et l’instituteur, qui l’avaient envoyé de concert à l’École normale, alors qu’il avait tout juste 16 ans
Et puis il y a eu cette une de Libé, le 12 mai. « Réforme du collège. Et si elle avait raison ? » Avec NVB en une. Pourquoi pas, après tout. Sauf que j’ai vite compris la manip : « La réforme de Najat Vallaud-Belkacem fait ressortir le clivage droite-gauche sur la conception de l’éducation : faut-il privilégier l’égalité ou l’élitisme ? »
Ah, comme tout devient simple ! Ce n’était donc que ça : un bon vieux clivage droite-gauche… Peu importe, finalement, que des personnalités de gauche, et au premier chef Ségolène Royal, aient émis de sérieuses réserves, tout comme des profs de lettres classiques, d’allemand ou d’histoire qui n’ont rien d’affreux réactionnaires. Non, dans le joli monde de Libé, être pour l’élitisme, même républicain, c’est-à-dire pour une sélection fondée sur l’égalité afin de donner leur chance aux meilleurs, c’est être de droite. On en est là.
Je me suis alors rappelé que, dans mon collège de ZEP, on sauvait concrètement l’égalité des chances, en tentant d’offrir à une trentaine de nos cent vingt élèves de troisième les mêmes possibilités qu’à ceux des établissements de centre-ville. Ce n’était pas très glorieux, un peu hypocrite au regard des instructions officielles, mais c’était efficace : on s’arrangeait tout simplement pour faire prendre le latin, et aussi l’allemand en première langue, aux élèves dont on pouvait espérer qu’ils iraient plus loin dans des classes où les conditions de travail permettraient des progrès. En clair, on s’asseyait sur la sacro-sainte hétérogénéité pour créer, en rusant, des « classes de niveau ». Tout le monde le savait, simplement ça ne se disait pas.
Et nous étions républicains en faisant cela, c’est-à-dire sainement élitistes. Nous sauvions ceux qui étaient sauvables en les préservant d’un égalitarisme de façade qui consiste, dans les faits, à sacrifier les meilleurs et à leur interdire de s’en sortir dans le champ de ruines provoqué, surtout dans les quartiers populaires, par le collègue unique et sa jolie politique émancipatrice qui n’émancipe, au bout du compte, que ceux qui rentrent le soir dans des maisons où les parents parlent français et ont des livres.
Alors si, pour Libé, c’est être de droite, je suis de droite. Mais je refuse d’être fiché avec une telle mauvaise foi, car je sais, moi, que notre action correspondait exactement à l’idée que je me fais de la gauche.[/access]
Également en version numérique avec notre application :
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !