En publiant des chroniques du Grand Alphonse parues entre 1959 et 1999 dans diverses revues, du Monde à Playboy, Le Dilettante nous fait du gringue. Armez-vous absolument de ce recueil pour passer le week-end du 11 novembre !
Pas d’armistice pour Alphonse Boudard (1925-2000) ! On fanfaronne, on argotise, on se fait encore plus mariole qu’à l’accoutumée, mais, à vrai dire, on est tout chose à la lecture de ces chroniques. Un peu K.O. Le cœur en miettes. Revigoré par cette prose chaloupée et, en même temps, seul, désespérément seul depuis que l’enfant des Gobelins a tiré le rideau. Derrière la fesse glandilleuse, au tréfonds des culs-de-basse-fosse, dans l’œil d’une sous-maîtresse, au zinc avec des fraiseurs de l’usine Panhard, à l’hosto les poumons troués, sur une barricade du Boul’mich, devant le nid d’aigle, le jour de l’enterrement de sa maman, encadré par deux cognes ou durant la campagne d’Alsace, le zig nous impressionne. Quand des types de son calibre affichent un tel pedigree, on ne moufte pas. On ne la ramène pas avec nos petits diplômes et nos références littéraires. Alors, par gloriole, par pudeur aussi, on se réfugie derrière la langue drue des Apaches, les vannes de comptoir et l’insolence morveuse des petits gars du XIIIème arrondissement, le vieux Paris lambrissé et l’accordéon qui mélancolise dans l’arrière-salle, les putains qui arpentent le macadam en se déhanchant excessivement, tout ce cirque-là, c’est juste pour masquer notre émotion.
Ça secoue !
Parce qu’avec Alphonse, on a appris l’Histoire de France, des claques et de la Libération de Paris, de Juin 1940 à Pivot, de Marthe Richard à Petiot, de Manouche à Jo Privat, de Villon à la Ferdine, du roi René à la Tour Montlhéry, du Prix Renaudot aux ors de l’Institut, toute la lyre en somme, le défilé des affreux, des embastillés, des souffreteux, des estropiés, des délirants, des névropathes et des libidineux. Tout y passe. Dominique Gaultier, l’âme du Dilettante, a bien raison de parler de « bonheurs inespérés ». Ces bonheurs sont regroupés dans le recueil qui porte le titre prophétique de Merde à l’an 2000.
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Quel voyage, mes amis ! J’en suis encore tout secoué. On en prend plein les mirettes, on apprécie d’abord le fond caverneux, la mouise persifleuse, les coups du sort à répétition, la déveine, le biribi des réfractaires, on ne file pas d’un cocktail à une mondanité, d’un colloque soliloquant à une tribune bavarde, on s’arsouille dans des coins pas possibles, on est à terre, comme si tous les clampins du monde se donnaient la main. Jolie farandole du désespoir et de la noirceur humaine. Chez d’autres auteurs moins inspirés et commercialement plus vils, cette spirale de la débâcle tournerait à la victimisation, aux larmes ou à la repentance, voire à la résilience. Boudard ne tend pas la sébile pour se faire aimer des médiocres. Il a entendu assez de balles siffler dans sa carrière marloupine pour ne pas mettre un genou à terre. Il se tient debout. Il a appris à écrire sous le magistère des Pieds Nickelés, la meilleure école d’une narration chaotique et fantastiquement drôle. Plus c’est glauque, plus c’est « sans issue », plus c’est foutu, meilleure est la langue. Car, ne vous y trompez pas, chez ce résistant-marlou ou ce voyou-lettré, ce sensible de première bourre qui vous arrache le cœur dans Mourir d’enfance sans les violons chouineurs, les mots valsent, la phrase gouleyante en appelle une autre qui en appelle une autre, ça cascade, ça ne s’arrêtera plus. Les mots sortent naturellement de son encrier. Ils jaillissent et viennent se nicher dans votre cortex, sans forceps, sans vaseline. Des malfaisants, des jaloux sans talent, ont raillé cette veine populiste-artilleuse, osant le traiter parfois de sous-Céline, dans le genre priapique à l’humour troufion. Ces penseurs à vue basse ont disparu depuis longtemps des bibliothèques, mêmes les bouquinistes n’en veulent plus, alors que les aficionados d’Alphonse, sans presque aucun relais médiatique, dans le silence méphitique de l’Université, portent son flambeau et sa bonne parole.
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Sorte de Cioran hilarant
« Qu’importe si je suis catalogué Béotien, vulgaire plumitif sans profondeur métaphysique » écrit-il, avec un mélange d’orgueil et de lucidité, il dame le pion aux Ulmiens et aux khâgneux vengeurs. Nous, ses disciples, l’élevons en chair, le consacrons Béotien Premier, roi du divertissement, empereur du récit imagé, Rabelais n’est pas loin, une sorte de Cioran hilarant, avec une absence de sérieux qui confine à la gravité. Dans ce recueil, émouvant, didactique, foisonnant, déconnant, mariant la mauvaise foi et une sincérité déchirante, administrant un bras d’honneur à l’attention de tous les pissefroids de l’édition, on retrouve toutes les stèles de son existence : Brassens, Hardellet, Giono, Lino, Carco, Gen Paul, Audiard, Simonin, Cendrars, Marcel Aymé, la Môme, Fallet, Antonin Magne, des considérations sur l’amour tarifé, les geôles françaises, le sanatorium, le cinoche et les juges. Gardons en tête cette maxime digne du Cardinal de Retz : « L’engagement met l’intelligence en sommeil ».
Merde à l’an 2000 de Alphonse Boudard – Le Dilettante
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