Le Medef donne l’exemple à ces feignasses de salariés dont certains, un peu moins tétanisés que les autres, allaient promener leur flemme du côté de la Fête de l’Huma ce 14 septembre : eux au moins, les patrons, ils travaillent le dimanche contrairement à ses cossards de salariés vautrés dans les CDI et la surmutualisation, c’est bien connu. Le Medef a en effet livré la primeur d’un document de 50 pages inventoriant des mesures choc pour créer de l’emploi et même un million d’emplois. C’est dire si ça carbure, dans les têtes des grands patrons. On admirera au passage le sérieux de l’estimation. Un million. Pas 873 475 ou un million deux cent vingt deux. Non, un million, tout rond. Il ne s’agit évidemment pas d’un chiffre destiné à frapper les esprits. Si les patrons qui savent tout et qui ont toujours raison puisqu’ils sont les seuls producteurs de richesse dans la France archaïque et soviétiquement administrée de 2014 disent qu’ils vont créer un million d’emplois tout rond, c’est que c’est vrai. Le contester ou ironiser vous vaudrait immédiatement la colère voire le mépris de tous les éditorialistes économiques de la télé, je dis bien tous, chargés de relayer dans une grande et belle unanimité servile, la bonne parole du nouveau bureau politique de la nation, à savoir le Medef.
Regardons un peu quelles sont ces pistes innovantes proposés par Pierre Gattaz, le nouveau chef de l’Etat, un petit gars qui a dû faire ses preuves, surtout aux yeux de son père d’ailleurs, qui exerçait le même job que lui mais dans une époque où le rapport de force avec une gauche de gauche et des syndicats plus combattifs le forçaient à parler un peu meilleur à l’ouvrier.
La première est la suppression des jours fériés. Il y en a onze. C’est une honte pour le patronat que le travailleur ne travaille pas le jour férié. Le jour férié, c’est de la vacance de contrebande. Franchement, est-ce bien raisonnable d’avoir des mois de mai qui ne ressemble à rien. Et tout cela pourquoi ? Pour des fêtes qui rappellent un bien mauvais esprit de la part de travailleurs qui le 1er mai célèbrent le travail en ne foutant rien, ce qui est tout de même un comble. Quant au 8 mai, qui n’est pas fêté en Allemagne, il rappelle notre victoire sur un partenaire économique qui est un exemple à suivre désormais. On passera sur les fêtes religieuses. Pour le patronat, l’ouvrier n’a même plus le droit à, au soupir de la créature opprimée comme disait Marx. Non, la fête religieuse est aussi porteuse de mauvais esprit, qui raconte comment un homme nait, meurt et ressuscite pour continuer à proférer des inepties pleines de ressentiment contre les riches et se moquer de la réduction des déficits : « Je ne serai pas toujours parmi vous » dit-il à ses disciples qui s’indignent comme des socio-démocrates quand Marie de Béthanie lui verse du parfum sur les pieds et les essuie avec ses cheveux, dans une dépense somptuaire qui pourrait faire péter la ligne bleue des 3%.
Mais me direz-vous, et si le jour férié tombe un dimanche, ce qui arrive quand le jour férié, rusé comme un faux chômeur, est mobile ? Qu’importe, le Medef, qui a tout prévu, propose d’en finir avec le dimanche une bonne fois pour toutes. Bon, c’était dans l’air, de toute façon. Et on peut parier que les derniers à défendre le dimanche, on ne les trouvera pas du côté de la CFDT, qui est l’idole des jaunes, mais de quelques vieux évêques crispés sur leurs acquis théologiques comme d’autres le sont sur des acquis sociaux.
Pour le reste, les demandes patronales sont somme toutes de bons sens : fin du Smic, « qui est un frein à la croissance, amen !», fin des 35 heures « qui sont une aberrrration » avec 4 r comme aimait à le prononcer le baron Seillière, fin des taxations sur les flux financiers qui limitent les dividendes remis aux actionnaires et donc les empêchent d’embaucher du personnel de maison, sinon j’ai du mal à voir le lien entre création d’emplois et spéculation, mais bon, en même temps, les économistes télévisionnaires vont surement très bien me expliquer.
Bref, on ne va pas citer pour la énième fois Warren Buffet et sa phrase sur l’existence d’une guerre de classes que la sienne, celle des super riches, serait en train de gagner. Il la déplorait, d’ailleurs, Buffet, pas spécialement par philanthropie mais surtout parce que ça pourrait finir par devenir dangereux, à la longue, cet écrasement du monde du travail dans la peur, la misère et l’esclavage soft. Mais il n’y a plus que Warren Buffet et les patrons pour croire à la lutte des classes. Même les ministres socialistes, comme Fleur Pellerin et quelques autres, expliquent doctement que ça n’existe pas.
C’est pour cela, d’ailleurs, que nous souhaitons que le gouvernement Valls mette en œuvre le plus rapidement possible ces mesures voulues par le Medef, et le fasse avec son aptitude habituelle, un peu écoeurante, à se soumettre à tous les diktats venus du patronat.
Parce qu’avec un peu de chance, le peuple de France se souviendra peut-être alors, en menant une vie dont ses grands-parents et parents avaient réussi à s’affranchir en 1936, puis avec le CNR, qu’il a tout de même quelques magnifiques révolutions à son actif et qu’il n’a jamais rien obtenu, conquis ou reconquis, que par la force.
*Photo: MEIGNEUX/SIPA.00691218_000086
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