Vendredi dernier, M. Hermann Gröhe, secrétaire général de la CDU, le parti d’Angela Merkel, assistait à la convention nationale de l’UMP. Rien que de très normal : les deux formations sont membres du PPE, qui rassemble les partis de droite et de centre droit membres de l’Union européenne. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est que la principale annonce relevée par la presse à l’issue de ce conseil a été celle de la participation annoncée d’Angela Merkel à la campagne de Nicolas Sarkozy pour sa réélection.
Il ne fait pas le moindre doute que cette promesse a été sollicitée par le président de la République, car on ne voit pas le bénéfice politique immédiat que Mme Merkel peut retirer de cette annonce prématurée.
L’hypothèse de la voir apporter son soutien à un autre candidat à l’Elysée étant exclue, pourquoi se prononcer avant même que Nicolas Sarkozy ait officiellement annoncé sa candidature ? La réponse à cette question n’a pas tardé à venir : même sans faire le compte exact des occurrences des mots « Allemagne » ou « allemand » dans la prestation télévisée de Nicolas Sarkozy dimanche soir, on pouvait percevoir que « Sarkozy l’Américain » de 2007 s’était mué en « Sarkozy l’Allemand » de 2012.
Ainsi, il est logique que la maîtresse d’école de Berlin soit la bienvenue pour expliquer à la petite classe française la nécessité d’élire le petit Nicolas comme délégué des élèves. Cela, c’est du jamais vu dans les relations franco-allemandes. L’instrumentalisation politicienne d’un dirigeant allemand dans une campagne électorale française, ou réciproquement, est une nouveauté qui montre bien le désarroi de Nicolas Sarkozy. La « common decency » en la matière veut que le soutien électoral à son homologue d’outre-Rhin, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, soit porté par le chef du parti-frère, et non pas par celui ou celle en charge du gouvernement. Personne n’est dupe, mais la morale est sauve, et surtout on préserve l’avenir des relations entre les deux pays pour le cas où le sort des urnes serait défavorable à son candidat de cœur.
Il arrive même que les circonstances politiques amènent un chef d’Etat à soutenir son homologue contre ceux qui représentent, dans ce pays, sa famille politique. Ainsi, en 1983, François Mitterrand vint défendre devant le Bundestag l’installation en Allemagne des euromissiles de l’OTAN, alors que les sociaux-démocrates y étaient violemment opposés. Cinq ans plus tard, Helmut Kohl, le chrétien-démocrate, se gardait bien d’intervenir dans l’élection présidentielle française qui opposait Mitterrand à Chirac, même si au fond de son cœur, il avait une préférence, qui n’était pas Chirac…
Que penser de cette nouvelle « germanomanie » qui s’est emparée des hautes sphères du pouvoir sarkozyste à la veille d’une échéance cruciale ? Est-ce du simple benchmarking consistant à s’inspirer de ce qui marche ailleurs pour l’adapter à la France ? Dans ce cas, point ne serait besoin de solliciter la chancelière de venir battre les estrades dans les meetings UMP : il suffirait d’inclure dans son programme des mesures inspirées de l’expérience germanique, et le peuple prendrait ou laisserait.
Les socialistes d’ailleurs, ont en leur temps, eux aussi fait référence à des modèles étrangers, notamment nordiques, pour « vendre » leurs projets de réformes aux électeurs. L’exercice s’est toujours révélé vain, car un modèle économique et social ne s’achète pas en kit, comme une vulgaire armoire Ikéa.
Un pays se réforme à partir des structures institutionnelles et mentales acquises au cours des siècles. Il s’appuie sur ses points forts et s’efforce de corriger ses points faibles. Cela ne concerne pas que l’économie au sens étroit du terme, mais aussi les manières de concevoir la vie en général, les rapports entre les hommes et les femmes, l’éducation des enfants et bien d’autre choses encore où les Français diffèrent totalement de leurs amis allemands.
Si Angela Merkel veut vraiment aider à la réélection de Nicolas Sarkozy, c’est très simple : il lui suffit de consentir à inclure un volet « croissance » crédible dans le nouveau traité européen pour équilibrer son volet disciplinaire, et de faire de la BCE le prêteur en dernier ressort des Etats de la zone euro. Or il ne semble pas qu’elle aille dans cette direction, bien au contraire, si on lit bien ses toutes récentes déclarations publiques, comme son discours d’ouverture du forum de Davos.
A entendre le président de la République dimanche soir, on avait l’impression qu’il regrettait amèrement d’être le président d’une bande de tribus gauloises rétives à se couler dans un modèle dont elles se refusent stupidement à percevoir les bienfaits. Au « La France n’est pas le problème, mais la solution ! » de François Hollande au Bourget, Sarkozy semblait répondre « Soyons plus allemands et tout ira mieux ! »
On ne peut que lui conseiller de relire ces lignes écrites par Bertolt Brecht au lendemain de la révolte des ouvriers de Berlin-Est du 17 juin 1953 :
« Après la révolte du 17 juin, le secrétaire de l’Union des écrivains fit distribuer des tracts sur la Stalinallee, où l’on pouvait lire que le peuple avait perdu la confiance du gouvernement. Celle-ci ne pourrait être reconquise qu’en travaillant deux fois plus. Ne serait-il pas plus simple, pour le gouvernement, de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »
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