Un article du Nouvel Observateur s’intéresse cette semaine à un phénomène relativement récent mais qui prend des proportions pour le moins inquiétantes : la phobie scolaire, qui toucherait 1 % des élèves en France. Au début, quand certains collègues m’avaient parlé du phénomène, j’avais souri. Mon vilain fond réac, mes vingt ans de ZEP, mon côté vieux con, adepte de la pédagogie du coup de pied au cul. « Arrête de me prendre pour une bille, si tu ne veux pas aller à l’école, c’est que tu tires ta flemme ou que tu n’as pas appris tes vers de Corneille ou ta leçon sur l’ablatif absolu et que tu as peur de te retrouver en retenue. » Mais voilà, il semblerait d’après le papier du Nouvel Obs, toujours confirmé par des témoignages de proches, qu’il s’agisse bel et bien d’une véritable souffrance, d’une pathologie douloureuse, assez semblable dans ses symptômes aux désordres du stress post-traumatique des soldats ayant connu l’épreuve du feu. Nausées, vomissements, cauchemars récurrents, crises de panique avec impression de mort imminente, voire tentatives de suicides, ce n’est pas compliqué, certaines gamines de 14 ans préfèreraient encore, même avec des menottes, aller en garde à vue que de partir en cours de maths.
Que se passe-t-il donc à l’école pour qu’elle soit devenue pour les plus fragiles un véritable enfer, que la simple idée d’y aller les rendent blêmes et suffocants ? Sont-ce les agressions ou la violence des cours de récréation due pour l’essentiel à la baisse tragique du nombre des professeurs dans les établissements remplacés par des équipes spéciales de sécurité (pour simplifier, des flics) ? D’après l’étude, il ne semblerait pas que ce ne soit le cas et cette pathologie de la « phobie scolaire » semblerait plutôt toucher des élèves d’établissements où il n’y a pas de problème de ce genre, des établissements où existe encore la mixité sociale.
Le Nouvel Obs, toujours dans son rôle de phare de la bien-pensance sociale-libérale, incrimine la pédagogie elle-même. Et de nous décrire des établissements où les élèves sont soumis à l’atroce pression des exigences professorales, au sadisme d’enseignants psychorigides qui veulent, les salauds, transmettre à la schlague d’inutiles rudiments d’histoire, de physique, de langues vivantes. Il faudrait donc repenser le système…
Oui, d’accord, mais je suis assez étonné tout de même. N’est-ce pas officiellement depuis 1989 que l’élève est au centre du système et que Meirieu, ce Danube de la pensée dopé aux amphets bourdivines a tout fait depuis trente ans pour discréditer les savoirs des dominants et a voulu transformer l’école en « lieu de vie » avec maison du lycéen, heures de vie de classe et tout le toutim ? Alors comment se fait-ce, me demandé-je, que nos chères têtes blondes, tout au moins pour une partie d’entre elles, aient l’impression lorsqu’elles se rendent en cours, de partir pour Bagdad hors zone verte plutôt que dans un temple du savoir où l’on apprendrait dans la joie et la sérénité, puisque n’est-ce pas, ils sont, répétons-le, au centre du système ?
Et de me souvenir d’un livre déjà ancien de quelques années qui s’intitulait La barbarie douce, la modernisation aveugle des écoles et de l’entreprise (La découverte) de Jean-Pierre Le Goff. La thèse de l’auteur était lumineuse : la barbarie douce, c’est « Je suis ton copain, moi le patron de start up, moi le prof iueffèmisé, puisque c’est la mode. Je te tutoie, je te passe la main dans le dos, on est tellement égaux, mon chéri. Le problème, c’est que je reste ton patron et que même en te tutoyant, quand il faut te virer, je te vire et que moi le prof tellement « sympa », quand le système me demande de t’évaluer et de t’orienter, eh bien je le fais. Tout ce que l’on t’a raconté, c’est des carabistouilles, maintenant tu passes ou tu passes pas, c’est comme ça ». Situation éminemment schizophrénique, on en conviendra.
Et voilà pourquoi le petit Louis vomit son Benco à 7 heures du matin. Et voilà pourquoi votre fille est muette.
Dans le Nouvel Obs, quelques pages plus loin, un article sur Meirieu, candidat d’Europe Ecologie. Avec une photo de Cohn-Bendit qui lui passe la main dans le dos.
Comme quoi tout est cohérent. Surtout l’erreur.
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