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Merci, M. Finkielkraut !


Merci, M. Finkielkraut !


Je dois mon goût pour la littérature et pour le savoir en général à Monsieur Le Gallo, qui fut mon professeur de français en classe de 5e. De toute ma scolarité, j’ai gardé bien peu de noms et de visages enseignants. De ses cours, me sont restées des phrases entières : « Le sonnet est un poème en alexandrins composé de deux quatrains et de deux tercets. ». Je l’entends encore s’emporter, et nous emporter avec lui dans la lecture de Racine ou de Joachim du Bellay.

Cet homme, qui était le doyen du collège, avait chez les élèves, et peut-être chez les enseignants les plus jeunes, dix ans après Mai 68, une réputation épouvantable. Lorsque nous cédions à de mauvaises habitudes prises dans d’autres cours et perturbions le sien, il arrivait qu’il nous soulève de notre chaise par les oreilles pour nous envoyer une gifle qui sonnait dans le silence de la classe. Nous ne le savions pas encore, mais cet apprentissage du respect nous a sacrément aidés à grandir. Je plains de tout cœur les élèves d’aujourd’hui que la législation a privés d’un tel enseignement.

[access capability= »lire_inedits »]La passion qui l’animait avait finalement banni de sa classe le chahut, l’inattention s’y faisait discrète, devenue honteuse. L’ordre qui y régnait nous donnait la mesure de la haute estime dans laquelle il tenait sa matière. Le sérieux avec lequel il nous offrait les lettres était une preuve de l’amour qu’il leur portait. Les portes qu’il ouvrait sur des mondes inconnus et par lesquelles nous ne faisions que jeter des regards excitaient nos curiosités. Lentement mais sûrement, notre professeur nous a amenés à croire que le savoir pouvait être une source de plaisir. La conviction avec laquelle il nous invitait à lire nous donnait la garantie que, dans les livres, se trouvaient des trésors.

Plus tard, c’est à Alain Finkielkraut que je dois la découverte de La Plaisanterie. Sans les conseils de cet homme, en qui j’ai placé toute ma confiance pour l’avoir beaucoup écouté et beaucoup lu, aurais-je persévéré dans la lecture de ce roman difficile pour moi, à l’intrigue complexe, aux personnages multiples qui apparaissent pour un chapitre et s’éclipsent pour réapparaître dans une autre époque ? Je l’ignore.

Sans cette garantie du trésor caché, aurais-je poursuivi la lecture de Vie et destin, de Vassili Grossman, en acceptant de me perdre dans les méandres du récit ? Je ne le crois pas. Ainsi, la promesse d’Alain Finkielkraut a-t-elle ajouté à ma bibliothèque Georges Bernanos ou Charles Péguy, Philip Roth ou Hannah Arendt.

Aujourd’hui, peut-être las d’être le vigilant qui nous avertit des barbaries à venir, peut-être fatigué des procès et des protections policières, qui en disent long sur ces crétins qui inquiètent un homme aussi profondément honnête, Alain Finkielkraut emprunte le chemin détourné de la littérature et nous offre les « longues conversations silencieuses » qu’il a nouées avec Milan Kundera, Vassili Grossman, Albert Camus et d’autres. Dans Un Cœur intelligent, il raconte, explique, éclaire neuf romans qui nous aident à saisir ces vérités qu’aucune science ne peut embrasser[1. La Plaisanterie (Milan Kundera), Tout passe (Vassili Grossman), Histoire d’un Allemand (Sebastian Haffner), Le Premier homme (Albert Camus), La Tache (Philip Roth), Lord Jim (Joseph Conrad), Les Carnets du sous-sol (Dostoïevski), Washington Square (Henry James), Le Festin de Babette (Karen Blixen).].

Par la « vérité supérieure du roman », ces petites histoires de destins individuels portent leurs lumières dans des profondeurs et sur des réalités que la grande ne peut atteindre.

Ce que le philosophe nous révèle des auteurs, ce qu’il nous montre des œuvres et de leur histoire nous entraîne dans une relecture où toutes les richesses qui nous avaient échappées sont révélées. Ce livre, qui en contient plus d’un, je l’ai lu plus d’une fois, pour le fond ou pour la forme, pour cette langue riche et claire, ces mots choisis, ces formules inédites.

Les passages extraits des romans sont autant de prétextes à la réflexion sur la politique, les utopies, le bien et le mal, la morale, les humanismes aux prises avec les logiques destructrices de leur époque, les « cœurs captifs de l’amour-propre », enfermés dans l’illusion et fermés à l’amour, les cœurs intelligents qui tiennent les hommes debout dans les tempêtes plus sûrement que la raison et que « rien ne révolte davantage que l’escamotage de l’horreur par l’intelligence de son interprétation ».

Cette philosophie du réel, lisible par tous car « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément » (merci, Monsieur Le Gallo) est une inépuisable lumière qui éclairera nos lanternes pour longtemps. En plongeant dans ce livre, le monde nous paraît plus complexe et plus limpide.

C’est un prodige ? Je n’en attendais pas moins.[/access]

Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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