Il faut se méfier des gens qui ne regardent pas la télé parce qu’ils ont autre chose à faire et que ce qu’on y voit serait superficiel. Si Saint-Simon n’avait pas observé en détail la cour de Louis XIV, sous prétexte que toutes ces histoires de courtisans, de coucheries, de tabourets et de préséances n’avaient aucun intérêt, nous aurions été privés des Mémoires. Patrick Besson est un écrivain qui a de l’instinct, comme Saint-Simon. Et puis, il a aussi le sens du portrait, du commérage et de la vacherie stylée. Avoir de l’instinct en littérature, c’est comprendre les endroits stratégiques où (et sur lesquels) exercer son talent. La cour de Louis XIV du temps de Saint-Simon et des centaines de chaînes de télévision du temps de Besson.[access capability= »lire_inedits »]
Le roman vrai de l’époque
En tenant, entre 1997 et 2009, une chronique hebdomadaire pour Le Figaro Magazine sur la télévision, il a eu le nez creux. Pas de meilleur sujet pour un roman vrai de l’époque.
Quand on les lisait, comme ça, de temps, à autre, on souriait. Une chronique de Besson, c’est toujours bien parce que c’est toujours méchant. Quand la gentillesse devient votre fort, le style s’en va. Et quand le style s’en va, vous commencez à voir les choses de façon floue, comme si votre télé était mal réglée. Mais bon, ce n’était que deux feuillets amusants, pensait-on, sur des sujets sans importance. Qu’il trouve sexy Daniela Lumbroso parce que c’est une blonde qui a lu des livres ou qu’il dénonce, avant tout le monde ou presque, la tyrannie des comiques (admirable portrait de Baffie et, déjà, de Guillon), on trouvait ça bien tourné et puis on passait à autre chose.
Quelle erreur ! Quelle légèreté de notre part ! En colligeant toutes ses chroniques sous le titre Le Plateau télé, on se retrouve avec un volume qui fait ses 1000 pages bien tassées et qui sont les Mémoires d’outre-Tube de Besson. On pourra picorer au hasard ou lire le tout à la suite. Dans les deux cas, on s’apercevra que Besson est un écrivain qui refuse l’idée d’écrire des textes mineurs et de distinguer entre journalisme, critique, roman. Il fait tout avec le même sérieux appliqué et cruel. Et puis, par principe, il publie tout ce qu’il écrit, absolument tout. Ses héritiers, s’ils espèrent se faire des rentes de situation en éditant des œuvres posthumes, vont être déçus. Pas de fond de tiroir chez Besson, pas non plus de chroniques éparpillées ici ou là. Il ne fera pas comme Bernard Frank, il ne donnera pas l’occasion à des jeunes gens admiratifs de faire tourner les photocopieuses dans les bibliothèques municipales pour rassembler avec ferveur les textes éparpillés du maître avant de les proposer à un éditeur. Besson préfère faire le boulot lui-même : il n’a peut-être pas tort. Pour commencer, on n’est jamais mieux servi que par soi-même et, ensuite, il n’est pas certain que la génération de mutants qui accède aujourd’hui à l’âge d’homme soit encore intéressée par les écrivains. Ils préfèrent déjà Internet à la télé, alors, un écrivain qui écrit sur la télé…
La suite au prochain bombardement
Bien entendu, Besson, lui, la regarde assez peu, la télé. Il ne manquerait plus que ça. De toute manière, il perd définitivement confiance dans les infos, sauf quand les présentatrices sont jolies. Dans ce cas-là, en plus, il enrage. Il trouve que les belles filles ne devraient pas mentir puisqu’elles sont belles. C’est son côté grec ancien, platonicien (lire son roman, La Science du baiser). Ses chroniques sur la guerre au Kosovo, comme « La suite au prochain bombardement », sont presque étonnées de tant de cynisme : faire annoncer les bombardements de l’OTAN par de jolies bouches. Et pourtant, pour étonner ce cynique de Besson, il faut se lever de bonne heure.
La télé, un mur sur lequel il joue au squash
Dès qu’il peut, Besson parle d’autre chose que de l’émission qu’il est censé regarder. On ne dira pas qu’elle est pour lui un prétexte, non, mais plutôt le mur cathodique sur lequel il joue au squash. Il sait qu’on ne gagne jamais contre un mur, surtout un mur d’images, mais au moins ça soulage. Un reportage probablement inintéressant sur le tourisme lui permet une variation définitive sur le cauchemar des vacances, titre d’un livre de son ami Alain Paucard : « Le tourisme a été inventé pour voler l’argent des vieux et pourrir leur retraite. Le capitalisme ne s’est toujours pas consolé de devoir servir une rente aux travailleurs qui ne sont pas morts à la tâche. […] C’est un crime d’obliger une femme ou un homme de 80 ans à monter sur l’Acropole, et ce crime est commis chaque jour. »
Il passe son temps sur Fashion TV parce qu’il aime les mannequins. Sur les chaînes cinéma parce qu’il espère toujours retrouver un film des années 1970 qu’il n’a vu qu’une fois et qui ne repasse jamais. Quant aux émissions littéraires, il tire à vue. C’est normal, Besson n’aime pas grand-monde, sauf les écrivains. Et comme les émissions littéraires sont là pour mettre en valeur les chroniqueurs, il ne voit pas l’intérêt. Et puis à la fin, quand l’émission littéraire disparaît (à la télé, elles ont l’espérance de vie d’un grenadier voltigeur au combat), il se plaint en disant qu’elles avaient au moins le mérite d’exister.
Il est comme ça Besson, moraliste contradictoire et historien malgré lui. Historien, parce que le jour où l’on voudra comprendre le paysage sonore, visuel, politique, philosophique, esthétique, polémique, sexuel, économique des quinze ans qui nous firent passer d’un millénaire à l’autre, Le Plateau télé sera un témoignage de première main.
Le Plateau télé: Chronique du temps passé devant la télévision
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