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Mémoires d’un faux con


Roland Topor

On a tendance à oublier que le nom de Roland Topor, qui revient avec une réédition et un inédit, signifie « hache » en russe. De la hache, Topor avait la violence et le soyeux paradoxal, la précision et le caractère sanglant qui en font l’instrument idéal pour une décapitation réussie. Ce génial touche-à-tout à qui rien de ce qui est inhumain n’était étranger pratiqua le dessin, l’illustration, la mise en scène, le théâtre, la télévision et la chanson avec un égal bonheur, passant de Marquis, troublant film sur Sade, à Téléchat, émission de télé pour les enfants dont la poésie absurde et l’humour décalé séduisent encore aujourd’hui. Du coup, on en oublierait presque que Topor était écrivain et qu’un de ses romans, Le locataire imaginaire, donna l’un des meilleurs films de Polanski.

On peut donc retrouver Topor écrivain avec la réédition de Mémoires d’un vieux con. [access capability= »lire_inedits »]Faux souvenirs d’un artiste imaginaire du XXe siècle, ces Mémoires parodient l’arrogance sénile des avant-gardes qui sombrent dans le dadaïsme d’État. Bouffi d’une prétention délirante et d’une incroyable mythomanie, le narrateur « se la joue » : si on l’écoute, c’est à lui que l’on doit tous les mouvements artistiques majeurs du XXe siècle, du cubisme au surréalisme. Et il a rencontré la Terre entière, Picasso comme Trotski, Faulkner comme de Gaulle.

Une histoire du siècle foutraque et exhaustive

Ce qui est irrésistible dans ce texte, c’est qu’il intègre sa propre décomposition et qu’il sombre, par son écriture même, dans un gâtisme répétitif qui vient progressivement contaminer l’ensemble de la narration. D’une ligne à l’autre, notre grand homme dit tout et son contraire et révèle une méchante personnalité. Obséquieux avec les puissants, dur avec les faibles, l’artiste rebelle est en outre avide d’honneurs et de prébendes.

Au passage, et l’air de rien, Topor nous offre, avec ces Mémoires d’un vieux con, une histoire politique et artistique du siècle dernier totalement foutraque mais très exhaustive.

On prolongera ce petit bonheur par la lecture d’un recueil de contes réunis pour l’occasion, Vaches noires, qui pratique un humour de la même couleur. Souvent kafkaïennes, glacées et toujours drôles, ces histoires évoquent pour certaines celles d’un ami de Topor, Jacques Sternberg, un autre maître de la nouvelle assassine, du désespoir sarcastique et du sourire crispé. Vaches noires n’est pas à consommer d’une traite. On recommande la lecture d’un conte par soir, pour faire de beaux cauchemars où les tables s’excusent à haute voix quand on se cogne contre elles et où les hyènes sont tuées dans les zoos par des bébés piégés.

« Hier soir, je suis resté chez moi. Aujourd’hui, je suis sorti. Je n’ai pas trouvé de différence. Demain, j’essaierai autre chose », écrit Topor. Il a effectivement essayé autre chose : la mort. La sienne est intervenue, hélas, en 1997.[/access]

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Septembre 2011 . N°39

Article extrait du Magazine Causeur



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