Résumer un score de 22% à la preuve d’un vote « islamique » en plein essor, c’est tout de même voir les choses par le petit bout de la lorgnette. L’édito politique de Jérôme Leroy.
Je lis ici et là, dans Causeur, que le vote Mélenchon serait celui du grand remplacement, le symptôme de la submersion de la démocratie par la subversion islamiste. Et de citer les scores notamment en Seine-Saint-Denis. Limiter ce vote de 22% des Français, soit 7 712 520 électeurs à la preuve du triomphe des thèses zemmouriennes qui ont par ailleurs assez montré leur inefficacité électorale le 10 avril, me semble relever d’une analyse hâtive qui confine à la paresse intellectuelle.
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Je le dis d’autant plus à l’aise que je fais partir des électeurs rousseliens qui ont résisté à la tentation du vote utile et que j’ai pas mal de reproches à l’égard de Mélenchon, même si au bout du compte je l’aurais préféré à Marine Le Pen au second tour. Ce que je reproche à Mélenchon, c’est ce qu’il a fait de son score de 2017, obtenu d’ailleurs avec l’aide des communistes. Ce score, il l’a gâché en ayant une conception égotique de l’union de la gauche, disant en substance à ses éventuels partenaires : « Venez si vous voulez mais c’est moi le patron. » Ce n’est pas comme ça qu’on reconstruit une unité et quoi qu’en dise sa garde rapprochée, les 400 000 voix qui lui manquent pour le second tour ne sont ni communistes, ni écologistes, ni socialistes, elles sont juste celles des électeurs qu’il n’a pas réussi à convaincre.
Marine Le Pen évite soigneusement cette confusion hasardeuse
D’autant plus qu’il était aidé par des sondages jouant à fond leur rôle de prophéties auto-réalisatrices et convainquant nombre des électeurs de Roussel, de Jadot, d’Hidalgo et même de nos deux trotskistes de « voter utile ». Mais l’unité ne se décrète pas dix jours avant une présidentielle et, en ce qui me concerne, le flou d’une partie des cadres insoumis sur des questions comme la laïcité ou le refus idéologique d’envisager le nucléaire comme la seule solution pour décarboner le plus vite possible l’économie sont des divergences non négligeables.
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Pour autant, LFI n’est pas un parti islamiste. Faire 52% des voix à Roubaix, qui n’est pas malgré les fantasmes médiatiquement entretenus, le faubourg de Kandahar, signifie surtout que Mélenchon a récupéré un vote populaire. Il se trouve, comme c’est étrange, que beaucoup de pauvres sont des enfants ou des petits enfants d’immigrés, que leurs noms ont des consonances arabo-musulmanes. Cela suffit-il à faire de tous ces électeurs des islamistes ? Ce genre de confusion, qu’a soigneusement évité Marine Le Pen, explique non seulement le score de Zemmour (désolé de retourner le couteau dans la plaie) mais aussi le ralliement à Macron de personnes aussi peu suspectes de complaisances pour les barbus que Zineb El Rhazoui.
Par ailleurs, le vote Mélenchon a d’autres caractéristiques plus évidentes : c’est le vote de la jeunesse et avec 31% et 34% chez les 18-34 ans, il ravit la première place tenue depuis longtemps par Marine Le Pen. Il cartonne également chez ceux qui gagnent moins de 2000 euros, ou même dans les classes moyennes intellectuelles et urbanisées. Toulouse, Montpellier, Lille, Strasbourg, Nantes, Rennes, qui ne sont pas franchement des villes « islamisées » mais plutôt aimablement « bobos » le placent largement en tête. On pourrait aussi parler de sa victoire écrasante en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion qui ne sont pas des terres menacées par l’envahissement mahométan et dans le seul département, Mayotte, où l’électorat musulman serait majoritaire, c’est Marine Le Pen qui arrive en tête… Comme quoi, rien n’est simple.
N’éludons pas la lutte des classes
Autant dire qu’on a, très majoritairement, au travers de vote Mélenchon, un vote de gauche classique. Les velléités intersectionnelles de son entourage seront vite noyées quand il s’agira, et sans doute dès les législatives, de mettre d’accord tout le monde sur un programme qui s’occupera beaucoup plus du social, de l’écologie, de la rupture avec une société de marché que de savoir si l’ouvrier martiniquais, ou l’intello précaire lyonnais est assez déconstruit.
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En fait, ce que leur reprochent inconsciemment les tenants de la vision d’un Mélenchon islamogauchiste, c’est qu’il vient rappeler que le fameux nouveaux clivage, si commode intellectuellement pour éluder la lutte des classes, entre mondialistes et patriotes, ou progressistes et nationalistes, est une aimable calembredaine. Il reste une gauche, un centre, et une droite avec des électeurs qui ont des intérêts contradictoires, voire antagonistes.
Et c’est tant mieux comme ça.
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