Accueil Édition Abonné Mélanchthon, perturbateur endoctrinien

Mélanchthon, perturbateur endoctrinien


Mélanchthon, perturbateur endoctrinien
Les députés d'extrème gauche Jean-Luc Mélenchon et Adrien Quatennens à la télévision publique, Saint-Denis, février 2022 © ISA HARSIN/SIPA

Lettre à ma cousine de province


Ma cousine, mon affolante, ma superbe Érythie qui m’offre ses pommes d’or et tout le verger secret des Hespérides, mon port de l’Occident extrême où vient mouiller mon désir, mon idole incarnée qui reçoit sans se lasser mon obole cent fois versée, ma demeure au bord du monde, quand pourrais-je enfin baiser vos pieds gainés de ce voile transparent qui fait de vos jambes un ruisseau de soie, dont je remonte le cours jusqu’à sa source de chair et de fourrure sombre… Ma promesse adorable, ma cousine inassouvie qui donne autant qu’elle prend, mon oasis et mon mirage, apprenez que votre cousin est aujourd’hui la proie du doute et du spleen.

Entendez son récit et voyez s’il n’a pas de bonnes raisons d’être accablé.

Le second peuple du Premier ministre

Pardonnez-moi, mais je vous entretiendrai une fois de plus de Melanchthon. Vous connaissez le résultat des élections, où l’on a vu McCaron se succéder à lui-même sur le trône de France. À ce propos, on a vu, lors de la cérémonie du couronnement, Landry Labius, encore plus gonflé de sa personne qu’à l’ordinaire, se rendre ridicule en voulant paraître savant : voulant énumérer de mémoire le nombre de voix en faveur du roi, il hésita puis se trompa. Enfin, il imposa trop longtemps sa présence, se fit professeur de politique, conseiller supérieur, alors qu’il aurait dû rapidement s’esquiver, retrouver son rang, très en-dessous du pouvoir et de l’action. Bercé par le chant des fées qui veillaient sur son berceau, largement pourvu par la nature et par la naissance, brillant, promis au trône, il se complaît dans les honneurs d’établissement, qui sont des hochets de consolation. Que reste-t-il du jeune homme pressé, que tout-Paris courtisait ? Un personnage considérable et désuet.

Les élections, donc : il y aurait maintes choses à dire sur cet événement, mais je vais à ce qui m’occupe aujourd’hui : l’importance paradoxale et dangereuse ô combien ! de JehanLucilien Mélanchthon, après qu’il a, une fois de plus, échoué à conquérir le royaume par les urnes. Eh bien, ce déplaisant perturbateur endoctrinien (pardonnez à votre cousin ce néologisme) prétend à une victoire fondée sur l’intimidation ! Cet homme, qui exerce sur ses partisans la fascination d’un guide spirituel féroce, a transformé sa défaite en défi au roi et à nos institutions. Renversant les termes du contrat politique déjà ancien, imaginé par le fondateur de la dynastie élective, l’immense Charles de Lille, ce culoté de Mélanchthon affirme que la seule vérité du pouvoir sortira d’un « second » peuple, celui des élections législatives. Ainsi, il compte pour rien la victoire de McCaron, il est vrai obtenue sans fatigue et presque sans combattre. Il ne doute pas que son parti d’agités et d’agitateurs, augmenté d’une coalition d’objets politiques flottants, emportera la mise et que le roi, connaissant sa défaite, le nommera Premier ministre ! Il y a plus grave encore : autour de lui, on laisse entendre que cette nomination « obligée », garantirait la paix sociale, sinon ce même « on » ne répondrait plus de rien, ne pourrait contrôler la plèbe, qui se verrait privée du gouvernement de son petit dieu colérique, lequel, ancien sénateur, se rêve en Imperator. 

Un Saint-Just dénué de grâce

Figurez-vous, ma cousine adorée, mon feu de braise, que ce monsieur n’eut d’autre ambition, à 35 ans, que d’aller dans la vie d’un train de sénateur ! Il passa vingt ans entre les murs du magnifique palais du Luxembourg, dans la compagnie d’hommes sages. Cependant on le voyait aller dans les couloirs, nullement soucieux de montrer l’apparence d’un dandy parisien, qui ne sort que dans un élégant appareil composé d’une redingote cintrée, d’un gilet de cachemire à col châle sur une chemise de percale qu’orne une cravate de satin noir, d’un pantalon gris souris brodé, tenant dans une main des gants de cuir de la même couleur, chassant l’air devant lui de sa canne à pommeau d’argent sculpté. Bref, Mélanchthon s’habillait sobrement. Avec cela, il a joui largement et très légalement de tous les avantages, que cette respectable assemblée procure à ses membres. Or, s’il laissa le souvenir d’un parlementaire sérieux et travailleur, aujourd’hui, son organisation nerveuse est sujette à de brusques changements. Il mime, comiquement d’ailleurs sans le vouloir, un exalté, un Saint-Just dénué de grâce, toujours porteur d’une colère sacrée, maniant la foudre de l’orage, désignant au ciel ses ennemis d’un doigt vengeur afin qu’il libère sur eux un nuage de grêle meurtrier. On le voit s’emporter contre un quidam, la tête hors du col, la lippe gonflée, mauvaise, injurieuse. Il invective, il menace, il s’approche, on croit qu’il va frapper… Blafard, les yeux exorbités, il avance son poitrail d’Hercule Fadaises (qu’on ne confondra pas avec L’Hercule Farnèse, musculeux et nu, sculpté en 1670 d’après l’antique par Giovanni Comino, dont un moulage, exposé au Jardin des Tuileries, attire irrésistiblement un public d’hommes et de femmes intéressé par l’anatomie spectaculaire)… Mais, ma cousine au goût de miel, sachez qu’il ne brandit son poing et ne tient la pose outrée d’un toréador sans arène que lorsqu’il ne craint aucune réplique. C’est pourquoi, en règle générale, ses outrages ne s’adressent qu’à des fonctionnaires extrêmement disciplinés, à des gazetiers complaisants (1) et à d’infortunés passants isolés. Jehan-Lucilien est un événement fâcheux survenu dans le royaume. Et il n’est pas seul, ce diable d’homme !

Dignitaires et obligés

On sait qu’il a créé, pour assouvir sa soif de pouvoir, le parti de La Montagne éruptive. Avec ses élus, il a pu former un groupe à l’Assemblée, très bruyant, très entreprenant. Tous ses membres sont à sa main ; il les tient, agite sa paume, les lance à la manière d’un joueur de dés. Et ils roulent selon sa volonté. Certains forment le premier cercle de ses débiteurs : le couple formé, à la ville, par Rédégonde Garamécro et Alixtide-Andrea Mourjaunes, elle, pasionaria volubile attirée par la lumière, lui, Robespierre maussade rétréci parfois en petit pion d’arrondissement ; et Philémon Cocherelle, abrupt démonstrateur des intentions de son maître ; et encore Gaston Lutin, insaisissable redresseur de torts, toujours aux grilles des usines, aux portes des ateliers, et toujours haranguant les nouveaux misérables : voici Marius Patelin, à la chevelure de feu, roué, raide, engoncé dans le vocabulaire officiel de son parti, l’ombre de Mélanchthon ; et Louise Paletot, qu’on imagine aisément au pied de l’échafaud, tricotant entre deux exécutions ; et bien sûr Victorine Ploquin, précise et froide comme le tranchant d’une lame, énigmatique aussi. Tous ces gens, dont certains ne manquent pas de qualités, l’ont fait roi : ils ne conviendront pas qu’il en a fait ses valets…

Mélanchthon se lève à l’Orient

Il convient de dire que, théoricien confirmé, praticien de la politique, il a démontré une obstination ainsi qu’une habileté incontestables. Reprenant une idée déjà ancienne selon laquelle le peuple traditionnel se dérobait, ne voyant plus de guide dans le manège des partageux, il lui fallait absolument regarder vers la masse des étrangers peu ou mal assimilés, essentiellement composée de mahométans. Toute la Montagne éruptive se tourna vers eux, dénonça les injustices dont ils étaient les victimes réelles ou supposées, exagéra sa compassion, et se fourvoya en épousant leurs plus suspectes querelles. C’est ainsi qu’elle soutient des individus de sac et de corde, qui étendraient volontiers jusque dans le cœur des villes leurs colonies de férocité. Elle les entretient dans le ressentiment, les encourage dans l’hostilité, les dirige, enfin, vers les urnes dans lesquelles ils paieront leur dîme. Et Mélanchthon, anticalotin irritable, vigilant censeur de la France ensoutanée, se lève à l’Orient et se découvre en vigoureux surgeon des Omeyyades, en pilote fébrile d’un tapis volant décoré aux larmes du Prophète… Où nous entraîneront ces échauffés de préaux et de brasseries, ces braillards ricanants qui forment un cortège hargneux ? 

L’oracle et sa cour

Ils sont terrifiants, et plus encore depuis que, imitant en cela leur maître et dresseur, ils ont le triomphe modeste des vainqueurs magnanimes. Ce n’est qu’affectation : leurs manières sont de piètres imitations de clémence et l’on voit bien que ce vernis est si fin qu’il ne dissimule pas la brutalité de leurs mœurs. Ces gens sont des rustres obsédés de revanche, ils puiseront à cette fin dans l’énorme remuement de colère que l’on perçoit dans la population. Ils ne se satisfont point d’avoir réduit à rien le parti des Partageux, d’avoir sauvé le parti de la Montagne rouge, ils tendent vers eux des mains de joueur de bonneteau, encouragés dans leur cynisme par deux directeurs des Chlorophyliens, l’effarante Alexandrine Woke, dont je vous entretenais dans ma dernière missive (voir Un ultime divertissement), et Justinien Bagou, personnage dissimulé, animateur de cercles carrés. Ils avancent, dominateurs, sûrs de l’emprise qu’ils exercent sur nos concitoyens inquiets et sincèrement égarés. Je nommerai encore, agrégée à cette galerie de portraits, Caroline de Vergelasse, qui traîne après elle non pas tous les cœurs mais une détestable réputation d’accusatrice acariâtre. Elle s’est récemment émerveillée d’entendre Alexandrine Woke demander l’abolition de la vie privée des ménages ! 

Entendez mon cauchemar de la nuit dernière, mon ardente cousine : la Woke recevait, avec un carrosse et quatre serviteurs en livrée, le ministère « de la surveillance exercée sur l’intimité des citoyens », Garamécro, celui « des formes littéraires et artistique destinées à manifester la reconnaissance du peuple envers Notre Sauveur et Conducător ». Edmond Piètre, l’ahuri de Grenoble, maître-nageur, était nommé ministre  « de la modestie dans le comportement et de la pudeur dans les milieux aqueux réservés à la baignade (sic) », tandis qu’Alixtide-Andrea Mourjaunes prenait le maroquin « de la culture conforme aux intérêts des quartiers ». Je me suis réveillé en sueur et j’éprouve à cette heure le même effroi nocturne. Au vrai, ces fâcheux entretiennent la frustration nationale. Ils veulent des places : il se pourrait qu’ils les obtinssent. Dans la rue sonne à l’instant le fer des chevaux de la malle-poste, je n’ai que le temps de fermer cette lettre après vous avoir confié ceci : le monde que je connaissais se dérobe devant moi, un autre s’élabore dans le chaudron de sorciers malveillants. Que me restera-t-il en mémoire, quand je serai traîné devant un mur pour être fusillé ? Je crois bien que j’aurai, parmi mes ultimes souvenirs, les figures amoureuses que nous avons produites ensemble, dans le désordre de votre lit, la tendre litanie de vos gémissements, l’adorable sensation de mourir et de renaître entre vos bras. 

Tendrement et sauvagement,
Votre cousin


Addendum

Pour rire avant de pleurer, cet extrait, qu’un ami s’est procuré, du Chant des courtisans, sous-titré El Conducător, qui serait de la main de la Garamécro:

Où que portent nos yeux, nous voyons son génie
Il éclaire le monde et jusques en bas brille,
Et nous le désirons plus que notre Eugénie
Allongée, seulement vêtue de bas résille.

Quand il paraît, si beau, les yeux comme des billes,
Sur un divan profond de velours cramoisi,
Il est notre Odalisque, et nous partons en vrille,
Loin de ce monde obscur et qui sent le moisi

Que chacun d’entre nous, ténor ou baryton,
Dise ses mérites, chante enfin sa louange,
Gloire éternelle, gloire à notre Mélanchthon !
Plus puissant qu’un centaure et plus beau qu’un archange 

(1) On notera la très grande bienveillance des radios d’État à l’égard de Jean-Luc Melenchon depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Doit-on en déduire qu’il est considéré comme l’opposant officiel, l’opposant d’État ? Dans la presse, L’Obs, l’hebdomadaire de la gauche de confort, le couvre de lauriers…




Article précédent Législatives: la charte des godillots
Article suivant Manuel de langue
Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération