Faute d’alternative possible, nous sommes dans une impasse politique. Incapables de se coaliser, le RN et LFI se neutralisent l’un l’autre et sont les meilleurs alliés du président de la République. Tant que le plafond de verre tient. Mais la présidente du RN a le vent dans les voiles.
La dispersion des voix aux extrêmes du spectre politique rend impossible la formation d’une coalition d’alternance ; même si le soutien au pouvoir en place s’amenuise, les oppositions sont réduites au rôle de minorité de blocage. Dans cette configuration, le RN a longtemps été diabolisé, tandis que LFI a été épargnée au nom de son appartenance à la gauche. Pourtant, dans son ensemble, la gauche s’est montrée incapable de tirer profit d’une conjoncture qui aurait dû lui être favorable. Depuis que pèse sur elle l’ombre de Mélenchon, son image ne cesse de se dégrader. En octobre 2022, et pour la première fois, un parti de gauche est vu comme plus dangereux pour la démocratie que le RN. Selon le sondage « Fractures françaises » Ipsos/Fondation Jean-Jaurès, 57 % des Français déclarent LFI dangereuse pour la démocratie contre 54 % qui désignent le RN.
Dans ce même sondage, qui interroge sur la vision de société que prônent les partis, le RN fait quasiment jeu égal avec les formations politiques dites de gouvernement. Ainsi 32 % des Français adhèrent au modèle de société que le RN propose quand la proportion s’élève à 33 % pour LR, 34 % pour LREM, 33 % pour EELV et 32 % pour le PS. Seule LFI décroche, sa vision de société n’étant jugée positive que par 24 % des citoyens. De la même manière, si 53 % des sondés jugent la forme d’opposition de LFI trop radicale, ils ne sont que 29 % à dire la même chose du RN. Et quand on les interroge sur l’attitude des partis d’opposition à l’Assemblée nationale, le RN arrive en tête de la respectabilité avec 35 % de satisfaits, alors que LFI est bonne dernière avec 24 %. La stratégie de dédiabolisation du RN qui passe par la maîtrise du comportement de ses députés et le contrôle des prises de parole paie visiblement plus que le choix du chaos et de la violence verbale qui caractérisent les élus de LFI. Ainsi, lors du vote de la motion de censure sur la réforme des retraites, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, a sorti la sulfateuse et vidé son chargeur verbal sur chacun des groupes de l’opposition au palais Bourbon, mais n’a pu reprocher à l’extrême droite que son silence, la qualifiant de « mime Marceau ».Un reproche un peu léger quand on sonne les grandes orgues du fascisme à la moindre élection pour disqualifier le vote RN.
Le Pen vs Mélenchon : deux personnages clivants
Ces constats sont encore renforcés par le sondage IFOP/Fiducial pour Sud Radio du 3 mars 2023, qui interroge les Français sur l’image comparée de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Le différentiel entre les deux est très marqué : 10 à 15 points les séparent sur chacune des questions, et toujours en faveur de Marine Le Pen. Cependant, les deux dirigeants sont quasiment à égalité sur un point, l’inquiétude qu’ils suscitent dans l’opinion (Marine Le Pen inquiète 37 % des Français, Jean-Luc Mélenchon, 35 %). En revanche, quand il s’agit de savoir qui défend le mieux les intérêts de la France, la leader du RN est créditée de 38 % d’opinions favorables alors que le chef de la France insoumise est à 17 %. Il en va de même pour l’attachement aux valeurs démocratiques (33 % contre 21 %), la capacité à rassembler les Français (30 % pour l’une, 18 % pour l’autre), la compétence (31 et 18 %), le fait de porter une vision pour le pays (35 et 17 %)… Quant à savoir qui incarne le mieux l’opposition à Emmanuel Macron, Marine Le Pen plie encore le match par 41 points contre 23 à son adversaire.
Même la fièvre sociale qui met une partie de la population dans la rue ne sert pas la gauche. Selon le sondage IFOP publié dimanche 26 mars dans le JDD, si les législatives avaient lieu maintenant, seul le RN tirerait son épingle du jeu, passant de 21 à 26 % des voix. Il est le seul parti à enregistrer une évolution positive notable. Renaissance suivrait le chemin exactement inverse, passant de 27 à 22 %. Ce que Renaissance perd, le RN l’engrange. Côté Mélenchon, en revanche, rien ne bouge, LFI reste à 11 %. Quant aux autres formations politiques, elles stagnent. On comprend que dans ces conditions, envisager une dissolution serait suicidaire pour le pouvoir.
Le RN en pôle et en gain d’influence
La dynamique politique est donc incontestablement favorable au RN. Pour autant, le plafond de verre est encore solide. Ainsi le RN est renvoyé à la xénophobie pour 52 % des Français, même si ce résultat est en baisse de huit points par rapport à 2016. En dépit de la dédiabolisation, 70 % des Français considèrent qu’il appartient à l’extrême droite (ils étaient 77 % à penser cela en 2016). Si Marine Le Pen progresse sur tous les items, une majorité de Français continuent à penser que ni elle ni Jean-Luc Mélenchon n’ont la stature d’un président de la République (pour 56 % d’entre eux) ou les compétences nécessaires pour diriger le pays (51 %).
Reste à savoir si la dynamique politique observée va prendre de l’ampleur au point de rebattre les cartes pour 2027. Le blocage actuel et l’absence de perspectives politiques qu’il révèle pourraient-ils donner l’envie aux Français de renverser la table, le RN étant la seule alternative qu’ils n’ont pas essayée ? Irait-on vers une tentative à la danoise (laisser faire le boulot en matière d’immigration à l’extrême droite, puis redonner le pouvoir aux partis traditionnels sans toucher aux lois adoptées) ou le cordon sanitaire va-t-il tenir encore même si le pouvoir est réduit à l’impuissance ? Comme dans un « match point », la balle est sur le filet et nul ne sait encore quand elle va retomber, ni de quel côté. Reste que, d’élection en élection, force est de constater que le RN ne cesse de gagner en influence et en électeurs. Et si la question n’était plus « si » mais « quand » ?