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Mélenchon en voie de lepénisation?

Dans sa colère, il pose de bonnes questions mais donne de mauvaises réponses


Mélenchon en voie de lepénisation?
Jean-Luc Mélenchon, 19 octobre 2018. ©ERIC FEFERBERG / AFP

S’il a raison de se plaindre, Jean-Luc Mélenchon le fait mal. Dans sa colère contre la justice et les journalistes, il risque de s’aliéner les deux seuls pouvoirs qui ne tolèrent pas de contre-pouvoirs, et ainsi de se rendre inaudible.


On a dit longtemps du FN : il pose de bonnes questions et donne de mauvaises réponses. Avant de s’employer avec force à discréditer les questions et ceux qui les posaient. On pourrait affirmer la même chose de Jean-Luc Mélenchon. Il pose, sur les juges et les journalistes, des questions très pertinentes. Mais entre outrance et violence, il offre un alibi en or à tous ceux qui veulent surtout ne pas entendre ces questions parce qu’ils entendent soustraire ces deux puissantes corporations à toute contestation. On connaît la chanson : critiquer les médias ou la justice c’est attaquer la démocratie. Pratique. Mais le résultat, c’est que juges et journalistes apparaissent aujourd’hui comme les seuls pouvoirs qui, alliés les uns aux autres, ne tolèrent pas de contre-pouvoirs.

Achille Mélenchon

En un demi-siècle de combat politique, Jean-Luc Mélenchon a prononcé des discours mémorables et galvanisants qui faisaient de lui un digne successeur de son maître François Mitterrand. Dans ses bons jours, sa verve tricolore fait presque oublier son chavisme délirant et sa mauvaise foi phénoménale des mauvais. De même, ses emportements contre le conformisme journalistique ont souvent fait mouche. Et, dans un monde où les politiques font souvent preuve d’une coupable soumission à l’égard du premier pouvoir, ils ont quelque chose de rafraîchissant.

On se rappelle les innombrables catastrophes engendrées par la colère d’Achille, aveuglé jusqu’à outrager le corps de son ennemi vaincu. En se montrant incapable de dominer sa colère, aussi compréhensible ait-elle été, et surtout, en passant de la parole à la pression physique, même s’il n’y a pas eu mort d’homme, Jean-Luc Mélenchon a révélé qu’il n’était pas vraiment qualifié pour occuper le poste qu’il convoite. A-t-on vraiment envie de laisser le contrôle de la force publique à un homme sujet à d’irrépressibles accès de violence ?

La violence délégitime

Certes, nombre de militants insoumis semblent aujourd’hui se ranger du côté de leur chef, dont ils partagent la rancœur contre les juges et les journalistes. Mais le risque pour lui est de se lepéniser, c’est-à-dire de ne plus apparaître que comme le gourdin que l’on utilise pour taper sur le « système » comme ils disent, pas comme un candidat crédible à l’exercice du pouvoir. On peut pousser plus loin cette comparaison qui hérisse le chef de la France insoumise : beaucoup de gens qui partagent une grande partie des idées de Marine Le Pen se refusent à voter pour elle à cause, disent-ils, d’une certaine brutalité. Or, sur ce terrain, Mélenchon fait beaucoup plus fort qu’elle quand, au lieu de se contenter de protester, il bouscule des policiers et un procureur, donnant de lui l’image d’un putschiste plutôt que celle de la République qu’il affirme à juste titre incarner. L’incarner de cette façon, c’est la bafouer en substituant au débat, même vif, la menace de violence. « Enfoncez la porte, camarades ! » : cette injonction lancée à ses troupes devant le siège de son parti où se déroulait une perquisition hésite entre le ridicule et le scandaleux. Peut-être faut-il lui rappeler que la France de Macron n’est pas celle de Vichy.

Avec les journalistes, c’est encore plus sidérant. Jean-Luc Mélenchon (qui est assurément arrivé en tête des suffrages dans pas mal de rédactions) s’est tiré une balle dans le pied en passant de l’ironie même vacharde à l’injure gratuite. Il est révoltant que Médiapart ait accès au dossier en temps réel alors que la France insoumise n’y a, elle, toujours pas accès, vu qu’on est dans le régime de l’enquête préliminaire où le mis en cause n’a aucun droit. Et bien qu’en l’espèce vie privée et vie publique ne soient pas sans rapport, on peut aussi s’interroger sur la divulgation, par le média de Plenel, des relations présumées entre le chef de la France insoumise et sa communicante Sophia Chikirou, ex-grande prêtresse de feu Le Media. Faut-il pour autant sortir les mots du dimanche, agression, ignominie, caniveau ? Aurait-il fait preuve de cette saine pudeur au sujet de ses adversaires ? Là-dessus, il traite d’abrutis les journalistes de Radio France, prenant le risque de s’aliéner les rédactions les plus mélenchonistes de France. C’est ballot.

Mélenchon n’a pas crié au loup pour Fillon

Enfin, il était suicidaire, pour un élu marseillais, de se moquer de l’accent d’une journaliste toulousaine, mais il était bien plus insultant de balayer sa question avec mépris en la traitant à mots peu voilés d’idiote – « quelqu’un a-t-il une question en français ? » Or, la journaliste avait posé une excellente question. La colère de Mélenchon contre les juges serait en effet beaucoup plus crédible et audible s’il l’avait manifestée quand les mêmes juges se sont invités dans la campagne présidentielle en ouvrant une enquête préliminaire contre François Fillon, 24 heures après la parution du premier article du Canard enchaîné ou quand ils ont décidé de couper les vivres au Rassemblement national à cause de l’affaire des assistants du Parlement européen. À l’époque, Méluche n’avait pas de mots assez durs contre ceux qui osaient mettre en doute l’impartialité des juges. Bref, la justice n’est pas la seule que l’on puisse soupçonner de deux poids deux mesures.

En attendant, à force d’être obsédés par l’indépendance de la justice et les menaces, supposées et réelles, pesant sur elle, on a laissé s’installer une forme de gouvernement des juges puisque ceux-ci, dans le jeu des pouvoirs, prétendent à une autonomie radicale. En somme, ils sont là pour contrôler les autres, mais personne ne peut contrôler les contrôleurs. Et susceptibles avec ça : Henri Guaino avait été poursuivi pour l’adjectif « déshonorant ».

La colère n’est pas un projet politique

Mélenchon se plante quand il crie au complot politique : il est vrai que, dans les affaires Ferrand, Pénicaud, Bayrou ou, dans un autre registre, dans l’affaire de la perquisition chez Alexandre Benalla, le zèle et la célérité des magistrats sont nettement moins prononcés que dans les dossiers du Rassemblement national ou de la France insoumise. Ni Pénicaud ni Bayrou ni Ferrand n’ont eu droit à des perquisitions à leur domicile. Et ne parlons pas de la demande d’expertise psychiatrique à l’égard de Marine Le Pen. Mais les juges n’ont probablement besoin d’aucune consigne pour se montrer plus ou moins zélés. Il y a chez certains magistrats (instructeurs et parquetiers notamment), comme chez certains journalistes – suivez mon regard -, une forme d’ubris qui les pousse à se prendre pour des justiciers chargés de régénérer la démocratie. En clair, les juges ont aussi leurs Plenel qui pensent œuvrer pour le bien commun en se payant des politiques de toutes obédiences. Au premier chef ceux qui ont commis le crime de les critiquer ou de se moquer d’eux. C’est ainsi qu’on ne compte plus les procédures ouvertes contre Nicolas Sarkozy – l’affaire libyenne étant une coproduction particulièrement réussie entre Médiapart et des magistrats. Quand il était l’un des principaux chefs de l’opposition, l’ancien président a été écouté durant dix mois. Et alors que les dossiers sont plutôt maigres, on aimerait être sûrs qu’à la fin, les magistrats du siège ne prononceront pas des condamnations simplement pour couvrir leurs collègues de l’instruction et du Parquet. Sauf erreur de ma part, Nicolas Sarkozy a réussi à rester courtois avec ceux qui l’interrogeaient.

Les imprécations et la fureur de Mélenchon flattent peut-être une partie de son public dans le sens du poil, mais la colère n’est pas un projet politique. Entre l’alliance de juges et de journalistes qui piétinent allègrement le secret de l’instruction – pourtant condition indispensable d’une justice équitable -, et les politiques, soupçonnés de toutes les turpitudes, le combat était déjà inégal. Il l’est un peu plus maintenant que Mélenchon a offert à la presse et à la justice le moyen de se victimiser à bon compte et, en conséquence, de se soustraire encore plus à toute critique, désormais dénoncée comme populiste. Bref, en cognant comme un sourd – et à côté -, Mélenchon n’entame en rien le pouvoir des juges et des médias, il le renforce. Autant dire qu’il ne rend pas service à son pays.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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