Mieux vaut se répéter que se contredire: ce que j’écrivais avec Aimée Joubert en mars dernier, après les régionales, sur la disparition programmée du PCF via Mélenchon, quel que soit le cas de figure, je le pense toujours : « Pour le PCF, en 2012, la perspective est donc soit d’avoir un candidat communiste autonome et disparaître, soit de s’effacer derrière Mélenchon. Et donc de disparaître aussi. »
Néanmoins, depuis quelques semaines, mon opinion sur l’itinéraire qu’empruntera ce cortège funèbre a évolué. Grosso modo, j’ai pensé assez longtemps que le PCF, traumatisé par les scores aux présidentielles de Hue en 2002 (3,37 %) et de Marie-George Buffet en 2007 (1,93 %) prendrait tous les risques pour s’accrocher à la bouée que lui lançait Mélenchon pour 2012, et mettrait toutes ses forces dans la bataille pour obtenir grâce à lui un score à deux chiffres, quitte à risquer ensuite la noyade, c’est-à-dire la dilution progressive, puis la disparition dans un Front de Gauche dont le président du PG aurait fait sa chose.
En fait, il n’est pas du tout sûr que ce soit cette voie-là que choisisse le PCF. L’opération lancée en septembre dernier par le député communiste (enfin, se disant tel) du Puy de Dôme André Chassaigne, qui affirme lui aussi vouloir porter les couleurs du Front à la présidentielle, a singulièrement compliqué la donne.
Personne, à commencer par Pierre Laurent, le subtil nouveau secrétaire national du PCF, n’envisage sérieusement que l’ectoplasmique Chassaigne – qui synthétise le charisme de Robert Hue, le punch de Méhaignerie et la pensée politique de Diam’s – puisse représenter le Front de Gauche en 2012. Néanmoins la direction du PC se plait à entretenir un semblant de suspense, et pas seulement pour faire croire que le choix du candidat sera hautement démocratique[1. Sur l’opacité, voire l’absurdité de ce processus de désignation, comme sur bien d’autres sujets afférents au PG, au PCF ou à la politique en général, on se reportera avec bonheur à l’excellent blog de Descartes qui s’adresse prioritairement à ceux «qui sont fatigués du discours politiquement correct et de la bienpensance à gauche». ] .
Non en fait, il y a une volonté du PCF de laisser gonfler sa baudruche auvergnate, pour qu’à l’arrivée le candidat – ce sera Mélenchon, sans aucun doute possible – soit contraint de constituer une sorte de ticket avec Chassaigne, supposé lui apporter sur les tribunes et les plateaux la cacherout communiste. D’un point de vue technique, ce sera bien sûr une catastrophe : imaginez Nigel Kennedy obligé de jouer le double concerto de Bach en duo avec André Rieu…
C’est cette option-là que le PCF semble avoir choisi pour assurer sa survie, avec à l’arrivée la perspective d’un score qui ne soit pas trop mauvais (comme il le serait avec un candidat issu de la maison) mais pas trop bon non plus, ce qui renforcerait bigrement Mélenchon dans sa tentative prévisible de fusion-acquisition avec la Place du colonel Fabien, et aux dépens de celle-ci.
En conséquence de quoi, pour sauver la boutique, le PCF joue délibérément la stratégie non pas de l’échec, mais du semi-échec, comme il l’avait si bien fait dans la dernière ligne droite du référendum sur Maastricht en 1992, en axant toute sa fin de campagne sur un fumeux «non de gauche», et en tapant à bras raccourcis sur le «non de droite», juste ce qu’il fallait pour que finalement le oui l’emporte de justesse, au grand soulagement de quasiment toute la classe politique, Georges Marchais compris.
La version réactualisée de cette stratégie n’attendra pas la campagne pour se déployer : elle est déjà à l’œuvre depuis trois mois. « On ne peut pas mener une campagne sur le thème du populisme » avait averti Pierre Laurent en novembre dernier lors d’un meeting au gymnase Japy. Ce n’est certes pas du Plantu mais l’idée directrice est quand même un rien similaire… D’un point de vue politique, cela entrainera un score forcément médiocre, ou en tout cas bien moins bon qu’il pourrait l’être. Concrètement le PCF -via Chassaigne ou par tout autre moyen possible- va en permanence marquer Méluche à la culotte pour qu’il ne s’éloigne pas des dogmes du PC (au sens, cette fois, de politiquement correct).
On a pu en avoir une illustration dimanche dernier chez Demorand sur France 5: tout ce que JLM a trouvé à répondre aux questions de son hôte sur l’immigration a été un plaidoyer enflammé pour la régularisation immédiate de tous les sans-papiers. Oublié le Mélenchon qui slalome gaiement entre brutalité et complexité : on croyait voir à l’antenne un secrétaire départemental de la Ligue des Droits de l’Homme récitant tout penaud son credo sociétaliste. Pas le moindre argument en dehors de l’indignation de rigueur, pas la moindre prise en compte des questions que se pose l’électorat populaire, y compris celui issu de l’immigration. Si c’est comme ça que le président du PG compte prouver qu’il n’a rien à voir avec la présidente du FN, c’est réussi: combattre de cette façon Marine le Pen, c’est ouvrir un boulevard à Marine Le Pen.
Personnellement, s’il continue comme ça, Mélenchon est assuré de perdre ma voix: si c’est pour cautionner ce genre de sornettes sansfrontiéristes, autant aller voter comme un crétin pour le ou la candidate du PS dès le premier tour – au moins, on n’est pas trompé sur la marchandise.
Oui, il y a péril en la demeure : sous la pression du PCF et des bonnes âmes de gauche façon Plantu, JLM commet l’erreur insigne de tenter de se débarrasser des accusations de populisme et de collusion des extrêmes en se drapant dans une tunique de Nessus, au risque donc d’y laisser sa peau…
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