C’est la fin d’une belle histoire. Il y a deux ans, l’irruption de Mélenchon dans le jeu de quilles politique avait généré une flopée d’espérances. Je ne vais pas en faire la liste ici, disons qu’elles découlaient toutes d’une équation irréfutable : le « non » au référendum de 2005, majoritaire chez les électeurs de gauche, l’était encore plus largement dans le socle sociologique ancestral de la gauche (ouvriers, employés, chômeurs) ; moyennant quoi ce « non »-là – dont même les plus bouchés des énarques ou des éditorialistes ont compris qu’il allait bien au-delà du refus du Traité constitutionnel européen – n’avait pas de représentation politique digne de ce nom. Il est vrai qu’un consensus négatif (en l’occurrence, contre la mondialisation heureuse prônée par la classe politique tradi et ses relais médiatiques) ne suffit pas à définir une cohérence idéologique. Pour aggraver les choses, ce « non » potentiellement annonciateur d’un printemps de la gauche n’avait pas non plus de tribun incontesté capable de l’incarner lors des échéances électorales. Reconstruction, reconquête, re-présidentialisation : tous les déçus du PS par la gauche espéraient du neuf sur ces trois problématiques décisives.
Or, deux ans après la mise sur orbite de Jean-Luc Mélenchon, force est de constater que seul le dernier de ces trois objectifs a été atteint, et encore, partiellement. Mélenchon a incontestablement réussi à incarner à lui seul la gauche de la gauche. Mais les raccourcis qu’il a empruntés pour arriver à ce résultat laissent penser que, finalement, le renouveau de la gauche ne passera pas par lui. Tâchons d’expliquer pourquoi.[access capability= »lire_inedits »]
Tout d’abord, les chiffres : de loin, ils sont bons ; de près, il sont cruels. Les sondages les plus optimistes accordent au candidat du Front de Gauche un score de 9% auquel il faut ajouter les poussières glanées par les candidats LO et NPA , 1% à la louche : sauf intervention du Saint-Esprit, la gauche de la gauche se retrouvera aux alentours des 10 %, c’est-à-dire dans le bas de la fourchette qui est la sienne depuis 1988 (entre 9 et 14%.)
1988 : Lajoinie + Juquin + Laguiller + Lambert = 11,25%.
1995 : Hue + Laguiller = 13,94%.
2002 : Hue + Laguiller + Besancenot + Gluckstein = 13,42 %.
2007 : Buffet + Laguiller + Besancenot + Bové + Schivardi = 9,01 %.
Bref, JLM n’a pas, comme il se vantait de pouvoir le faire, plumé la volaille socialiste ni même dégarni significativement son aile gauche, laquelle préfère rester à la maison avec Montebourg, Hamon ou les universitaires mutins de la Gauche populaire. Et ce n’est pas faute d’avoir tout fait pour empêcher Hollande de décoller : a-t-on déjà vu s’envoler un capitaine de pédalo ?
Les seuls à qui Mélenchon ait tondu la laine sur le dos, ce sont ses camarades d’extrême-gauche. Et pour cause : les remplaçants d’Arlette et d’Olivier, Arthaud et Poutou, étaient inconnus du grand public et le restent encore largement à l’heure où j’écris ces lignes. Pour une large partie de l’électorat, Mélenchon fait figure de candidat unique à la gauche du PS, parce qu’il a été inlassablement vendu comme tel par les télés. Ceux qui, il y a un ou deux ans, ont cru à une fâcherie pour de vrai entre Mélenchon et les « laquais » des médias, n’ont sûrement pas allumé le poste depuis lors : elle est bien loin l’époque où il effrayait le média comme on épatait autrefois le bourgeois.
Un deuxième chiffre permet de comprendre pourquoi l’homme aux cravates rouges ne fait pas peur à ceux qu’il prétendait terroriser. Ce n’est pas avec lui que le prolétariat redeviendra une classe dangereuse, et pour cause : sa campagne patine désespérément dans l’électorat ouvrier. Sondage après sondage, on l’y crédite de 2% à 5 % des voix, loin derrière Le Pen et Hollande, et même derrière Sarkozy !
On me rétorquera que, si ces prolos ne veulent rien comprendre, il n’y peut mais et que ce n’est pas faute d’avoir essayé. Eh bien si, justement ! Dans sa stratégie marketing, Mélenchon a fait une croix sur les ouvriers, renonçant donc à aller les chercher là où ils sont, dans l’abstention ou dans les poches de Marine Le Pen. Là encore, mon propos peut surprendre : les médias ne cessent de nous conter la geste mélenchonienne, boutant la lepénisation hors des esprits et des urnes. C’est vrai qu’il cogne sur Marine, et dur avec ça ; souvent, on a même l’impression qu’il ne parle plus que de son duel avec Mme Le Pen. Mais sur quoi se bat-il, et en parlant à qui ? Là, ça se gâte…
J’ai regardé avec attention toutes les émissions de Mélenchon depuis le début de la campagne : au commencement, la dénonciation de l’Europe, des financiers qui la dirigent et des médias à leur botte était systématiquement au centre du dispositif. À ce titre, il pouvait réellement disputer les voix popu-ouvrières à Marine. Mais le « Système » lui présenta vite l’addition. Dans la foulée de Plantu, de nombreux commentateurs jugèrent bon d’enfermer dans le même sac (en rêvant de le lester et de le jeter à la mer) les candidats des deux Fronts. Souvenez-vous − c’était il n’y a pas si longtemps − de l’épisode « danger populiste » de l’automne 2011[1. Qu’on se rappelle du titre de son livre : Qu’ils s’en aillent tous !].
Que Jean-Luc Mélenchon et ses électeurs aient pu être blessés par cette campagne, c’est légitime. Que le Front de Gauche, pour déjouer cette offensive antipopuliste, ait choisi la facilité d’un antifascisme de bac à sable, devenu la marque de fabrique de son candidat, est plus problématique. Désormais, pour les télés, Mélenchon c’est le bon client anti-Le Pen, un concept que même Laurence Ferrari, Michel Denisot ou Anne-Sophie Lapix peuvent comprendre, voire apprécier…
Si je suggère que cet antifascisme est bidon, c’est d’abord, bien sûr, parce que je ne vois pas venir de marche sur Rome ou d’incendie du Reichstag. C’est ensuite parce que Mélenchon combat Marine Le Pen sur des thématiques bobo-compatibles (mariage gay, IVG, valses de Vienne) qui peuvent lui ramener quelques voix de profs, d’étudiants, de webmasters ou de militants associatifs, mais qui sont totalement inopérantes pour détourner du vote FN les grands brûlés de la mondialisation. À ces white trash en déroute, Mélenchon se contente de faire la morale en fronçant des sourcils genre : « Comment, vous n’allez pas voter pour cette semi-démente semi-fasciste ! » Du très bon pour le zapping, du pain bénit pour sa respectabilité, mais un sacré gâchis pour le réarmement idéologique du prolétariat.
En effet, si on prétend parler aux électeurs de Marine, non seulement il vaut mieux ne pas les insulter, mais il faut aussi les entendre, les prendre tels qu’ils sont et là où ils sont pour les amener vers soi : cela s’appelle la politique. Or, dès qu’il est question de l’immigration et du multiculturalisme, Mélenchon est pire que sourd. Quitte à se retrouver en phase avec Laurence Parisot sur la liberté de circulation et d’installation des étrangers. La même volonté d’évitement le conduira à utiliser presque mot pour mot le même argument d’autorité que Nicolas Sarkozy lors de l’irruption du halal dans la campagne – en substance : « Cette polémique n’a pas lieu d’être, taisez-vous et parlons d’autre chose.»
Sauf que le peuple, lui, il veut qu’on lui parle du halal, et aussi des prières de rue, et aussi de la burqa. Pas parce que le Français est raciste, ou alors c’est un complot conjoint du Siècle et de l’émir du Qatar qui, depuis des années, place Zidane et Noah en tête des classements de popularité ; parce que le Français a des angoisses économiques, sociales et culturelles, et que l’immigration non régulée lui paraît, au même titre que l’Europe ou les délocalisations, avoir un vague rapport avec ces préoccupations.
Personne, sûrement pas moi en tout cas, ne souhaitait que Mélenchon s’aligne sur les balançoires de la droite en la matière. Mais on pouvait espérer, en rêve, que face à ces angoisses, il invente ses réponses à lui, en rupture totale avec les vieilles habitudes du PS et du PCF : angélisme, clientélisme et autisme.
Au lieu de quoi il a systématisé l’antifascisme terra-noviste comme seule arme de combat face à Marine Le Pen, ou plutôt face à ses électeurs. À la stigmatisation de l’étranger, forcément plus ou moins racaille, il oppose celle du petit prolo blanc qui vote FN, forcément fasciste. Remarquez, à défaut d’interdire le FN, il lui reste à réclamer la dissolution du prolétariat.[/access]
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