J’ai toujours gardé dans mes archives l’article signé de Georges Marchais en première page de L’Humanité, le 3 mai 1968. Le jour où les « événements » ont commencé. Le texte, émanant de la direction du Parti et non du seul Marchais, dénonçait les gauchistes à la Cohn-Bendit : « Non satisfaits de l’agitation qu’ils mènent dans les milieux étudiants – agitation qui va à l’encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes – voilà que ces pseudo-révolutionnaires émettent maintenant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier. »
« Personne ne peut croire qu’en cassant une vitrine de McDo, on fait un acte révolutionnaire »
Écoutant, hier, Jean-Luc Mélenchon chez Jean-Jacques Bourdin, j’ai entendu comme un écho à propos des casseurs de la manifestation du 1er mai qualifiés de « violents qui ont servi la soupe à nos adversaires ». Dénonçant les fils à papa qui font péter les vitrines de McDo, il assène « personne ne peut croire qu’en cassant une vitrine de McDo, on fait un acte révolutionnaire ». Il ne va pas qualifier les « black blocs » de provocateurs manipulés ou en tout cas utilisés par le pouvoir mais on n’en est pas loin. Allez camarade Mélenchon, encore un effort pour être enfin sérieux sur cette question du gauchisme qui aujourd’hui comme hier, constitue un obstacle à la constitution de « l’unité populaire » que vous appelez de vos vœux. Et ne laissez pas vos militants applaudir ou participer aux débordements infantiles comme ceux qui se sont déroulés à la faculté de Tolbiac. Ne les laissez pas non plus traiter les policiers de « grosses merdes » devant les caméras gourmandes des chaînes d’info, pour venir ensuite pleurnicher en leur demandant de vous protéger, comme récemment Coquerel après son entartage et Corbière député d’un territoire perdu.
Puisqu’avec le 50e anniversaire de mai 68, le temps est aux réminiscences, j’ai celle de la grande manifestation de la sidérurgie le 23 mars 1979 qui fut dévoyée par le même genre de casseurs qui avaient tranquillement poursuivi leur saccage tout le long du parcours. En ce temps-là, ils s’appelaient eux-mêmes les « autonomes ». Il se trouve que pour différentes raisons j’ai été très concerné professionnellement par ce qui s’était produit. Avec l’aide de la CGT, j’ai publié à cette époque un livre qui décortiquait les mécanismes d’une incontestable provocation à dimension policière. Celle à laquelle nous avons assisté le 1er mai en est la jumelle. Comment en effet comprendre qu’un bloc compact de 1200 manifestants cagoulés et harnachés ait pu prendre tranquillement la tête du cortège et se livrer à des dégradations massives et surtout spectaculaires devant les caméras. À qui fera-t-on croire que ceux qui dirigent et manipulent ces groupes violents ne sont pas connus et fichés par la police ? À qui fera-t-on croire que ces mouvements, qui ne sont que les héritiers d’une forme désormais ancienne de gauchisme européen, ne sont pas surveillés et infiltrés ? Il était impossible de prévenir l’émeute ? Impossible d’intervenir quand elle se déroulait ?
Ennemis de casse
Je ne dis pas que le maintien de l’ordre est facile mais pour bien connaître les lieux où se sont déroulés les principaux incidents, il n’aurait pas été très compliqué de commencer par embarquer, avant la manif, leurs chefs qui sont évidemment connus. Ensuite d’isoler les casseurs, en particulier sur le pont d’Austerlitz. Pour enfin les disperser et en coffrer un certain nombre. Quant à la justification de la « modération » dans la répression par la peur d’un mort qui permettrait de mettre le pouvoir en difficulté, c’est un argument dénué de sérieux. Le syndrome « Malik Oussekine » n’opère plus depuis longtemps. Et les techniques du maintien de l’ordre ont fait suffisamment de progrès pour éviter qu’un drame se produise. On me dira que le pouvoir actuel ne serait pas capable d’être cynique et calculateur et d’organiser ainsi la disqualification du mouvement ? Allons, la méthode est aussi vieille que l’État, même si je sais que le dire aujourd’hui vous expose immédiatement à la stupide accusation de « complotisme ».
Je ne dis pas non plus que tous ceux qui appartiennent à ces groupes violents sont des flics. Il y a là un mélange d’enfants gâtés de la petite bourgeoisie en mal de sensations, de vrais anars, de déclassés et de marginaux qui forment un lumpen intellectuel complètement disponible pour servir de masse de manœuvre, pour le plus grand profit de ceux qui tiennent le manche. Il est cependant essentiel d’affirmer que leurs buts et leurs méthodes sont étrangères à celle du mouvement populaire indispensable pour lutter contre ce pouvoir et sa politique.
Qu’au contraire, ils le sabotent et qu’il est indispensable de les considérer et de les traiter comme des adversaires.
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