À Caen, pour se livrer à son habituel clientélisme, Jean-Luc Mélenchon en appelle à Descartes…
Baltasar Graciàn, dans son Art et figures du succès (Oracle manuel), 1647, traduit par Bénito Pelegrin (Paris, Points-Seuil, 2012) affirme que : « c’est une grande adresse dans la vie que de savoir vendre l’air. » « Presque tout se paye avec des paroles », précise-t-il…
Comme Jean-Luc Mélenchon a la réputation d’être un tribun qui vendrait du vent à Éole lui-même, c’est à vivre un moment d’art oratoire hors du commun que je m’attendais, m’apprêtant à l’écouter lors du meeting qu’il tint à Caen. Las ! J’espérais Cicéron, c’est Gnafron qui se donna en spectacle. Ce fut toutefois, il faut bien en convenir, pour mon plus grand plaisir de Lyonnaise. Gnafron, on le rappelle, aime le beaujolais et donne souvent la réplique à Guignol mais, il est surtout volontiers philosophe à ses heures.
Or, il se trouve que notre fidèle à Castro, eut la bonne idée d’en appeler à Descartes. Parce que le 8 juin coïncidait avec l’anniversaire de la parution du Discours de la Méthode, en 1637, le leader de la France Insoumise plaça la soirée sous les auspices prometteurs de la philosophie. On ne fut pas déçu. Voici le récit de cette soirée.
Est-ce bien sérieux ?
Avant l’entrée du lider minimo, la salle fut préalablement chauffée par des prétendants à la députation, issus des rangs de la Nupes. Olivier Faure se fit tout particulièrement remarquer en martelant le récit qu’il fit de la faillite du gouvernement avec le refrain d’une des chansons de Francis Cabrel : « La corrida ». La question : « Est-ce que ce monde est sérieux ? » scandait, en effet, le récit des épisodes les plus croustillants du règne calamiteux d’Emmanuel Macron.
Je me pris à attendre avec impatience l’entrée dans l’arène du rhéteur maximo. Je l’imaginai écumant et les naseaux fumants.
Ladite entrée se fit en deux temps. Mélenchon gratifia d’abord ses afficionados malheureux (ceux qui, faute de place avait dû rester en dehors de la salle), d’une diatribe sans panache : beaucoup de bruit pour rien. Notre animal qui, pourtant, n’avait à craindre ni matador ni muleta, n’en chargea pas moins. Il vociféra, avec son habituelle légèreté, qu’il y avait qu’un bulletin de vote à insérer dans l’urne pour faire de lui le Premier ministre attendu par tous.
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L’insoumis pénétra ensuite dans la salle où l’attendait le reste de ses sectateurs : « demain serait fait d’un autre bois », annonça-t-il pompeusement. Il commença alors des aller et retour métronomiques sur l’estrade, comme pour lester ses creuses paroles d’une majesté toute théâtrale. Il déroula pompeusement un chimérique programme où tout le monde, pourvu d’un peu de cœur et de pas trop de raison pouvait se retrouver : moment de pure démagogie.
La police serait « celle de la paix ». On adjoindrait à son inspection « des sociologues et des
Intellectuels » afin de faire une lumière plus vive sur les débordements auxquels elle avait coutume de se livrer.
Le sac plastique fait avec des algues allait se substituer immédiatement à celui, qui utilisé et jeté depuis toujours avec désinvolture, massacrait la planète. La fabrication de ce sac vertueux ne manquerait pas de créer de l’emploi.
Ce fut alors le moment de pointer avec véhémence l’indéniable incurie du gouvernement et le projet aussi pompeux que fumeux du CNR (Conseil National de la Refondation) imaginé par Emmanuel Macron pour partager avec les Français « le diagnostic, les contraintes et les objectifs des décisions prises pour répondre aux défis climatiques, internationaux, éducatifs, économiques ou encore sanitaires. » Mélenchon déclara, on ne peut hélas que lui donner raison, la deuxième saison du « blabla » ouverte.
Puis, l’instigateur de la Nupes releva la débâcle de l’école publique que l’autonomisation des établissements allait accélérer.
Méluche, trop confiant, s’emballe
Il signala enfin qu’on ne pouvait plus aller aux urgences. « On va où alors ? Au commissariat ? » plastronna-t-il d’un air ravi et d’une voix de stentor dans laquelle sonnait toute la joie d’avoir réussi une bonne plaisanterie. Méfiez-vous de l’outrance, Monsieur Mélenchon et méditez quand même ces mots de La Rochefoucauld : « La confiance de plaire est souvent le moyen de déplaire infailliblement. »
C’est alors que le révolutionnaire expliqua, dans un langage qui semblait destiné à une assemblée de simples d’esprit, qu’il sauverait le pouvoir d’achat et par-là même la France et ses habitants : « Si vous donnez, ils dépensent. S’ils dépensent, il faut produire, ça fait du boulot. Si ça fait du boulot, ça paye, d’où impôts, taxes et cotisations sociales. »
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Alors tout s’emballa. Notre taureau saisissant le prétexte de la date de parution du Discours de la méthode, enfourcha Descartes pour quitter la Terre et tutoyer les cieux : « Voilà, s’écria-t-il, c’est le jour d’une contribution intellectuelle qui a changé le cours de la vie. Je pense donc je suis ». Il continua : « Il n’y a rien qui ne soit entièrement en notre pouvoir que notre pensée (…) » Aux abris, pensai-je, il nous perdra, là !
Qu’on se rassure, l’envolée fut brève. On retomba vite et lourdement sur le plancher des vaches. Descartes fut rendu aux nues qu’il n’aurait jamais dû quitter et c’est l’habituel discours mélenchonesque qui retentit : « Il ne faut pas être halluciné, dogmatique, ne pas avoir l’esprit rempli de haine, rempli de préjugés, passer son temps à montrer les musulmans pour se rendre plus agréable à telle ou telle catégorie, à être aveuglé par l’antisémitisme et par la supériorité comme le fait Monsieur Zemmour, quand il dit que les femmes sont le butin des hommes. Il faut se libérer de tous les préjugés, de ceux-là et des autres qu’on ne voit pas et qui nous font peut-être croire que l’inégalité est dans la nature (…) Les êtres humains sont constructeurs de leur propre histoire. Personne n’est prédestiné, personne ne reçoit un destin dont il ne puisse s’échapper. »
Descartes c’est ok, mais Pascal, c’est non, qu’on se le dise.
Jean- Luc Mélenchon, on l’en remercie, ne fut pas sans proposer une astuce afin que tout le monde puisse philosopher à son aise. Ainsi, il n’oublia pas la partie de son électorat qui serait dotée d’une sensibilité moins cartésienne : « Vous pouvez rentrer en vous- même et aller chercher dans la religion les conseils qui vous aident à prendre la bonne décision, l’état laïque n’entre pas dans votre tête pour vous dire où aller piocher les arguments dont vous avez besoin. » Ouf, nous voilà rassurés.
Pour un peu, on aurait marché dans la combine et pas vu arriver Mélenchon avec ses gros sabots et ses combines philosophiques. Mais, un clientéliste reste un clientéliste, même paré des plumes du paon. La Rochefoucauld avait du reste affirmé : « Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir ». C’est donc rapidement qu’on a pu déjouer les subtilités philosophiques de notre tortue électorale, une fois de plus, peu sagace.