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Megalopolis: le chef d’œuvre qui désarçonne les imbéciles

Megalopolis, de Francis Ford Coppola, actuellement en salles


Megalopolis: le chef d’œuvre qui désarçonne les imbéciles
© 2024 Caesar Film LLC

Notre chroniqueur n’est apparemment pas sorti indemne de la salle où était projeté Megalopolis, le dernier film de Francis Ford Coppola. Décrié à Cannes par la moitié de la salle, vilipendé par nombre de critiques spécialisés, la fable (c’est son sous-titre explicite) du réalisateur d’Apocalypse now, du Parrain et de tant de chefs-d’œuvre serait-elle le grand film que notre époque attendait — et qu’elle ne sait pas reconnaître ?


À quoi reconnaît-on la prétention et l’incompétence ? À la morgue affirmative qui permet à des petits-maîtres, sous prétexte qu’ils opèrent à Télérama ou dans n’importe quel autre magazine pour bobos incultes et parisiens (pléonasme !) de traîner dans la boue le dernier film de Coppola. « Monumentale mégalomanie », dit l’une ; « cauchemar psychédélique sans queue ni tête », proclame un autre. « Récit boursouflé et confus », jette un troisième. « Opéra bouffi, néopéplum pseudo-philosophique, farce pontifiante », conclut un dernier sycophante.

Soyons bons chrétiens, et ne nommons pas les hilotes qui ont osé écrire de telles âneries. Qu’ils soient critiques de cinéma attitrés de canards par ailleurs estimables signe le déclin intellectuel de nos élites auto-proclamées.

Je dois à la vérité de dire que d’autres ont mieux saisi ce qui se jouait ici. « Magistral », dit l’Huma. « Fresque cinématographique éblouissante », constate le Masque et la plume sur France-Inter. Et Le Dauphiné libéré : « Un film grandiose, chaotique, d’une stupéfiante modernité. »

Les critiques signent surtout leur entêtante inculture. Il n’y a guère que Le Monde qui part des références mâchées et remâchées par Coppola (« de Suétone à Harold Lloyd, en passant par Shakespeare et Fellini » — et ils en oublient, le Faust de Goethe par exemple, dont le héros tente d’arrêter le temps, Verweile doch, du bist so schön — ce que le personnage de Coppola réussit fort bien) pour entrer dans un film qui justement fait le testament d’un monde en miettes…

Notre monde, mais aussi bien la Rome du Ier siècle av. J.C., qui émerge à travers les noms des personnages (Cesar Catilina, Cicero, Crassus et tant d’autres) et des lieux (New Rome, qui est en même temps New York et Gotham), mais aussi dans les discours : la violente diatribe de Cicéron contre Catilina (vous vous rappelez, bien sûr : « Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? quam diu etiam furor iste tuus nos eludet ? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? » — je n’ai bien sûr pas besoin de traduire)  est en grande partie restituée (mais qui, parmi nos « critiques éclairés », a fait de vraies études ?) et en même temps amalgamée à une intrigue qui est une « fable », c’est-à-dire un récit symbolique pour réveiller les peuples.

Il est en tout cas une référence que seul Christophe Bourseiller, me semble-t-il, a relevée, c’est Le Rebelle, de King Vidor, adaptation d’un roman de Ayn Rand intitulé La Source vive. Rand est la romancière-culte de tout ce que l’Amérique compte encore d’esprits sains (lire La Vertu d’égoïsme, dans ses essais, et La Grève, parmi ses romans). Dans Le Rebelle, c’est Gary Cooper qui personnifie l’architecte (la profession de Catilina / Adam Driver dans Megalopolis) désireux de rebâtir notre monde.

Et c’est bien de cela qu’il s’agit : notre civilisation s’écroule sous les coups des politiciens de faible envergure et de petite race, il faut la reconstruire complètement — c’est tout le projet de cette utopie / uchronie bouleversante.

Encore faut-il rebâtir le cinéma. D’où le jeu de Coppola qui ré-emploie quelques-uns de ses plus vieux acteurs (Laurence Fishburne, le soldat longiligne d’Apocalypse now, Giancarlo Esposito, vu dans Cotton Club, ou Talia Shire, l’une des filles du Parrain), couplés avec des légendes hollywoodienne — Jon Voight rescapé de Delivrance et de Runaway Train, ou Dustin Hoffman, méconnaissable —, et brassés avec une nouvelle génération — Shia LaBeouf, odieux comme d’habitude, et une palanquée de petits jeunes mâles et femelles, en une chorégraphie baroque morbide et endiablée.

© Phil Laruso – 2024 Caesar Film LLC

Ce qui se joue dans cet opéra insensé, c’est le destin de notre république et de toute notre civilisation — les allusions aux émeutes qui ont suivi l’échec de Trump en 2020 sont limpides. Il faut un visionnaire. Et Catilina en est un, un quasi-messie qui survit à sa propre mort.
En fait, c’est un film d’où vous sortez ébloui, et immédiatement convaincu qu’il faut aller le revoir, tant chaque image est riche de possibilités. Tant cet octogénaire réinvente l’avant-garde.

Evidemment, vous pouvez vous contenter de Justine Triet et Annie Ernaux, ou telle autre demi-pointure qui serait ce que la France produirait de mieux à cet instant tragique de son histoire. Coppola n’est pas pour les estomacs rétrécis par l’abus de boulgour et les cerveaux anesthésiés par la prolifération des minables qui n’existent que parce qu’on leur tend un micro. Il filme pour les temps à venir — quand un nouveau César émergera du présent cloaque.

2h18




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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