Avant même de l’avoir lu, je me suis trouvé en accord avec Sir Cyril Connolly – le premier admirateur de Cioran en Angleterre -, qui mettait en garde ses proches : on ne se méfiera jamais assez d’une femme qui a trop d’amies, car celles-ci n’auront de cesse qu’elles n’aient détruit votre couple. Une seule amie est évidemment pire encore, à moins que nous ne l’épousions ensuite. Ce sont des choses que les pères devraient dire à leurs fils.
Une mère, elle, devrait expliquer à sa fille qu’elle ne pourra jamais rendre un homme heureux, donc jamais être heureuse elle-même, si elle ne feint pas la soumission. Là encore, elle pourrait citer Connolly : « Il n’y a jamais eu de suffragettes heureuses ». C’est navrant, certes, mais enfin ne vaut-il pas mieux être prévenu ?
Une orpheline au caractère docile constitue le meilleur parti. J’ai le privilège d’en avoir croisé quelques-unes. Elles m’ont offert le bonheur que le destin leur avait refusé. Les mères ont-elles conscience du service qu’elles rendent à leurs filles en les abandonnant ?
Dans Le Tombeau de Palinure, son chef-d’œuvre, Connolly observe que dans la guerre des sexes, l’insouciance est l’arme du mâle, la rancune celle de la femelle : « L’une engendre l’autre, mais le désir de vengeance d’une femme survit à toutes ses autres émotions. » Autre réflexion à laquelle je souscris : « Jeunes, nous sommes fidèles aux individus. Plus âgés, nous le devenons davantage à des situations et à des types. » De là vient qu’en dépit de nos charmes déclinants, nous puissions encore exercer quelque ascendant sur des êtres jeunes, car, en un instant, nous savons tout sur eux. Et eux sont hypnotisés par cette clairvoyance inattendue.
Dans son dernier livre traduit en français en 2011 mais écrit en 1948, Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain (Les Belles Lettres), Connolly prophétise que sous peu l’art d’écrire des livres, surtout des œuvres d’imagination, aura disparu. Il en tire aussitôt les conséquences, se convertissant au snobisme et tournant en dérision le style mandarin. Laisser une œuvre….quelle ambition de parvenu ! Et puis, pour écrire des romans ou se soucier de justice sociale, encore faudrait-il aimer ses semblables, ce qui lui semble bien méprisable. « Étant contaminé par la philosophie orientale, je suis incapable de prendre les gens au sérieux, écrit-il. Tous, ils semblent remplaçables, à part quelques-uns infiniment rares qui emportent des fragments de nous-mêmes… »
Comme Cioran, il pensait que quelques aphorismes suffisent. À ceux qui aspiraient à plus, il donnait ce conseil toujours d’actualité : « La meilleure écriture est comme l’homme le mieux habillé : ses qualités sont la discrétion, la modestie et l’effacement. »
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