Une tribune de Sophie de Menthon.
Tous coupables de cette décadence médiatique que nous encourageons en mordant à l’hameçon ? A moins que ce ne soit le modèle économique de la presse à bout de souffle ? Ou encore la faute d’une paresse intellectuelle entretenue ? Mais la réalité est bien là, nous ingurgitons en boucle une bouillie médiatique indigente qui nous conditionne. Un embrigadement volontaire qui nous soumet à une sorte d’influence sans issue, le syndrome de Stockholm !
Quand le scoop tue l’info
Trop nombreuses, les chaînes d’info en continu sont astreintes à une compétition permanente au mépris absolu de la qualité et de l’objectivité qui nécessitent un peu de temps et d’investigation. Presse écrite ou audiovisuel, on n’a plus les moyens de mener des enquêtes sérieuses. Quant à la radio, les jeunes de moins de 25 ans ne l’écoutent pas. Nos parents attendaient les « nouvelles », on nous a conditionné à attendre les scoops.
Nous ne choisissons plus nos vecteurs d’information, nous zappons inlassablement. Saluons toutefois les bonnes émissions… Mais comment supportons-nous de regarder indéfiniment ces malheureux reporters postés, qui attendent inlassablement un micro à la main qu’il se passe quelque chose quelque part, meublant de propos insipides mais haletants de longues heures creuses. L’envoyé spécial qui nous annonce qu’il n’a rien à dire mais qu’il va le dire. Le micro qui se tend aux victimes des inondations en leur demandant (sic) « …et vous espérez que les pluies vont être moins abondantes ? » Ou encore guettant l’annonce du nouveau gouvernement qui ne vient pas, et qui enfin arrive… par dépêche AFP ! Ce qui nous a offert récemment le spectacle hilarant du messager posté devant Matignon ou l’Elysée, micro au poing, consultant son portable pour y trouver la composition du gouvernement.
La télé vit avec l’espoir de la « breaking news » qui permet de stopper n’importe quelle émission pour faire semblant d’être les premiers informés et donner le sentiment que c’est important et que tout s’arrête : suspense ! Pour que le téléspectateur ne s’ennuie pas pendant les informations ou les débats (ce qu’on peut comprendre), on lui met en sous-titre d’autres infos qui n’ont rien à voir avec le sujet traité, évitant ainsi réflexion et concentration ; en même temps, il peut vérifier sur les réseaux sociaux s’il n’y a pas une « fake news » qui traîne.
La recherche du feuilleton
Les sujets qui font la « une » avec matraquage systématique ont heureusement une durée de vie assez limitée, comme par exemple la sortie du CD posthume de Johnny Hallyday faisant l’objet d’émissions d’autant plus spéciales que personne n’avait pu écouter encore les chansons. Mais on nous expliquait comment le secret avait été bien gardé avec les mêmes précautions que s’il s’agissait d’un engin nucléaire, reportage prolongé tard dans la nuit jusqu’à 1h du matin pour guetter les fans qui seraient les premiers dans les points de vente ouverts à minuit… et toujours le même reporter micro au point dans une rue déserte auquel on demande : « Est ce que la foule se presse déjà devant la boutique ? »
Les engouements médiatiques auxquels il est impossible d’échapper sont créés de toute pièce par le phénomène de répétition et la psalmodiation crescendo qu’il faut alimenter sans cesse par un nouveau détail essentiel.
A lire aussi: Immigration: les médias nous mènent en bateau
Le feuilleton est un objectif rêvé, comme celui concernant Benalla auquel on finit par s’attacher, chouette un rebondissement : le certificat des victimes tabassées serait un faux de l’aveu du médecin qui l’a produit. Après la sortie du disque de Johnny Hallyday on devrait repartir sur l’héritage, les droits et le procès entre les enfants et la veuve. Mélenchon vient de nous offrir un entracte avec la rixe de sa perquisition, sa liaison supposée, et, oh ! bonheur, il en a rajouté en insultant l’accent… d’une journaliste ! Comme c’est la presse qui porte plainte on en a pour un bout de temps, sans compter l’ineffable proposition de loi factice sur la stigmatisation des accents : la « glottophobie » dont on ignorait tous l’existence. En plus, voila qui pourrait relancer l’affaire Zemmour ?
Tout cela est bien rodé : scoop, internet, presse, commentateurs télé, gros-titre, presse people, reprise de la presse people, hurlements de l’opposition et on recommence.
Les médias sont l’actualité
Les hallalis sont monnaie courante, s’acharnant sur l’ennemi public numéro 1 de l’instant qu’on abandonne à terre quasi mort ; si on l’a calomnié (la « fake news » n’est pas autre chose que la calomnie) deux ou trois lignes et quelques brèves feront l’affaire pour ajuster le tir ou démentir. De toute façon, il ne sera jamais blanchi…
Ce qui est grave, c’est la manipulation des esprits et l’impossibilité de s’exprimer avec nuance et de remettre les choses à leur juste place, l’indignation fait vendre et nous achetons. Le nombre croissant de mots interdits, les soupçons permanents de stigmatisation, de racisme, d’intolérance, etc. font partie du prêt-à-penser généralisé et fournissent les occasions de s’indigner. Seuls les medias seraient politiquement corrects !
Nos sondages eux-mêmes finissent par être le reflet de ce dont on nous gave. Les medias ont décidé d’avoir pitié des retraités ? Pourquoi pas, mais alors impossible d’expliquer quoi que ce soit, l’émotionnel prime et défile sur les ondes des victimes qui nous font part de leurs déboires et de l’amputation de leur maigre revenu.
La vraie question qui se pose est aujourd’hui de savoir si ces medias que nous suivons en schizophrènes, malgré la désapprobation générale qui se manifeste à leur encontre, vont finir par faire échouer la réforme de la France ? La descente aux enfers du président de la République est-elle réellement le résultat de sa politique ou de ce que les medias ont décidé d’en retenir ?
Les politiques puisent dans ce déferlement de scandales de quoi étoffer leur position d’opposants impuissants. Ils n’en sortent pas grandis et les Français ne sont pas dupes. Toutefois, à force de se contenter de l’écume des choses et de trucider nos rois en les choisissant comme boucs-émissaires, nous courons au naufrage politique intellectuel et social du pays.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !