« Combien de fois ai-je regretté de voir des soldats et des sous-officiers rentrer dans leurs foyers sans récompense, quoique par la durée de leurs services, par des blessures, par des actions dignes d’éloges, ils eussent mérité un témoignage de satisfaction de la patrie ! […] le ruban que vous porterez sur la poitrine […] dira à vos camarades, à vos familles, à vos concitoyens que celui qui la porte est un brave. » Ce fut par ces mots que Louis-Napoléon Bonaparte consacra la Médaille Militaire, afin que les non-officiers pussent être décorés pour leurs actes de vaillance, alors même que la Légion d’Honneur fut réservée aux officiers.
S’inscrivant dans la filiation de Bonaparte (Légion d’Honneur) et du Général de Gaulle (Ordre de la Libération et Ordre du Mérite), nonobstant le fait qu’aucun autre président de la Ve République ne l’a envisagé avant lui, François Hollande institue par un décret du 12 juillet 2016 une nouvelle décoration : la « Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme ». Deux jours plus tard, le fracas du drame de Nice couvre les premières protestations de ceux qui doutent de la pertinence d’une telle décoration. La torpeur estivale des semaines qui suivent achève le prompt avortement d’un débat qui ne s’est finalement jamais vraiment tenu. À quelques semaines des premières attributions effectives, de nouvelles voix s’élèvent : associations de victimes, anciens combattants, élus, condamnent l’inadéquation d’une décision hautement politique révélatrice de la faillite idéologique d’une gouvernance dépassée.
Mourir par les armes, aux mains des autres
Parce qu’elle émane de la « volonté » présidentielle, la médaille aux victimes du terrorisme figure de jure au 5e rang protocolaire des décorations nationales. Ainsi, précède-t-elle les croix de guerre et médailles de la résistance française acquises au prix du sang par ceux qui ont jadis combattu pour la liberté de la France, face à l’oppression.
Avoir eu le malheur de fréquenter une place publique, un magasin, un lieu de spectacle visé par une attaque terroriste relève de la plus terrible fatalité, nul ne le contestera. Pour autant, cela justifie-t-il la gloire d’une récompense honorifique nationale ?
Natacha Polony a raison lorsqu’elle écrit : « Les Français ne veulent pas être des victimes décorées, mais des femmes et des hommes debout ». Debout parce que l’honneur provient du mérite, valeur cardinale de notre République.
Une certaine métaphysique du vide
Percluse par le lourd héritage d’une vision post-bourdieusienne lénifiante, la doxa socialiste abhorre autant qu’elle craint toute forme de violence symbolique. À ce titre, elle révère inconditionnellement la victime, cherche à excuser le bourreau et instille la suspicion quant au mérite du héros. L’incapacité profonde du pouvoir à traiter convenablement des faits de terrorisme intérieur relève malheureusement de cette dynamique aussi inepte que dangereuse.
Que le blessé de guerre ne bénéficie pas de la préséance institutionnelle sur le blessé d’attentat, que l’on se préoccupe dans l’urgence de la communication mémorielle au détriment de l’amélioration discrète de l’indemnisation et de l’accompagnement post-traumatique, cela doit nous alerter et collectivement nous concerner au premier chef.
Communier, célébrer, rendre hommage à l’envi : l’expiation coupable
Vingt ans après la série d’attentats de 1995 attribuée au GIA, la France a connu en 2015 un annus horribilis qui a auguré une nouvelle ère, celle de l’état d’urgence permanent. Kouachi, Coulibaly, Ghlam, Abballa, Bouhlel : ces funestes noms et tant d’autres figureront au rang de nos plus terribles contempteurs, bras armés d’un islamisme impérialiste implacable qui ne différencie pas ses victimes, qui vicie notre liberté de l’intérieur, qui nous aliène à notre peur.
Avec stupeur on découvre que nombre de ces ennemis sont nos compatriotes ; ceux-là mêmes que plusieurs décennies d’antiracisme moralisateur et de repentance postcoloniale ont ménagé et qui aujourd’hui – paradoxalement – se vengent.
Dans l’impossibilité idéologique et stratégique de traiter les racines du mal, François Hollande commémore ad libitum, espérant s’extraire par le « haut » du bourbier sécuritaire dans lequel notre pays se trouve désormais. Au mépris de la temporalité nécessaire au façonnement d’une mémoire pérenne, la célébration se fait instrument politique. La médaille aux victimes du terrorisme n’en est autre que la triste breloque.
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