McCarthy se dégonfle


Nos élites culturelles nationales ont du goût pour ce qu’elles appellent la transgression dans l’art : à ces femmes qui se rêvent « belles et rebelles », mais paraissent essentiellement rébarbatives et toujours au bord de la crise de nerfs, à ces hommes qui cultivent ostensiblement l’« esprit de résistance » avec une audace de pirate des Caraïbes élevé dans une baignoire, il faut toujours plus d’audace, mais familière, identifiée, produite par une petite usine à frissons portative.

Le plat de la main placé en visière, disposés comme des sentinelles aux avant-postes, ils scrutent les déplacements de mode, les transhumances d’engouement. À ce jeu de guet, les socialistes de pouvoir et leurs alliés, naguère encore dominants, aujourd’hui déconsidérés, définitivement coupés de la classe ouvrière qui fit leur réputation, ignorés de la classe moyenne qui fit leur succès, désormais affolés de reconnaissance, se jettent sur tout ce qui pourrait redorer leur blason de révolutionnaire en peau de lapin. Rainettes de mare asséchée et  roitelets de lounge bar, ils ne produisent plus qu’une illusion de hardiesse.

Leur héros du moment se nomme Paul McCarthy (voir L’art du divertissement Causeur). On ne s’étendra pas outre mesure sur le cas de ce personnage, rusé inventeur du système de compensation monétaire de l’« étron or », et qui, pour cette raison, restera dans les annales (!). Ses démonstrations fécales dégagent une odeur d’argent plus ou moins frais, et n’ont de valeur « transgressive » que pour les collectionneurs, qui en espèrent une confortable plus-value, et pour les excellences socialistes françaises, qui en attendent un petit prestige sulfureux.

Sur le mode de l’outrage fait à liberté de création et d’exposition, ces derniers tentent de présenter Paul McCarthy en victime de l’obscurantisme, alors que cet impayable provocateur assermenté ne saurait prétendre qu’au statut de martyr de la fosse septique. Pour alerter la foule et l’attirer vers ses guichets, où le prix d’entrée s’élève à 40 €, la FIAC, avec l’aide des autorités gouvernementales et municipales, a érigé une prétendue œuvre du sieur McCarthy au beau milieu de la place Vendôme. L’érection de la chose gonflante provoqua les cris d’orfraie. On parla de honte, de Paris humilié… Deux jours plus tard, des « terroristes » dégonflaient l’arbre (tree en anglais), dont le houppier pas plus que le tronc, tous deux raplaplas, n’étaient alors en mesure de donner du plaisir à l’orifice d’un quelconque géant vert. Il faut préciser que ce sapin gigantesque se présentait plutôt comme un distributeur de volupté dans la zone érogène dite du pétard, du popotin, du fion !

Gros émoi dans la ruche des élites et des zélotes : François Hollande, don juan à temps complet et locataire à temps partiel du palais de l’Élysée, ne craignit pas la boursouflure : « La France sera toujours aux côtés des artistes comme je le suis aux côtés de Paul McCarthy, qui a été finalement souillé dans son oeuvre ».

Fleur Pellerin, ministre 2.0 de la culture, se répandit en lamentations sur les réseaux (a)sociaux. La dame tuitait d’un doigt rageur : « C’est une atteinte insupportable à la liberté de création. Sans parler de l’agression physique d’un artiste. Soutien à Paul McCarthy. ».

Et un certain Bruno Julliard, ancien jeune, apparatchik confirmé, présentement adjoint à la culture du maire (de la maire ?) de Paris, y est allé de son couplet de vierge effarouchée : « « […] la honte et l’humiliation pour la France, ce n’est pas l’oeuvre gonflable éphémère place Vendôme. Ce sont ces imbéciles qui la dégradent. ».

Alors, il faut dire et répéter que tout cela relève de la farce et du scandale de mauvaise fabrication. Ce McCarthy est un artiste millionnaire, un provocateur d’État, célébré, choyé. Il n’est pas plus subversif qu’un pet neutre, incapable, malgré sa masse volumique, de provoquer, par contraste de température, la moindre poussée d’Archimède.

Les vrais amateurs de ces choses, les raffinés du déduit, les sybarites éclairés, fréquentent volontiers d’autres lieux que des place publiques encombrées de petites suffocations socialisantes. Ils connaissent, depuis belle lurette, l’usage du chapelet thaï, délicatement perlé, et fréquentent Au bonheur du jour, la superbe galerie de Nicole Canet, rue Chabanais (où prospérait un bordel fameux) à Paris, dans le IIe arrondissement. Ils y admirent en toute quiétude de magnifiques olisbos très anciens et de belle taille. Nicole y poursuit en outre un travail d’édition rare, à la fois savant et sans tabou. Toutes les formes du désir y sont considérées. C’est ainsi qu’on pourra acquérir, à partir de 31 octobre, son dernier ouvrage, explicitement intitulé : Plaisir et débauches au masculin, 1780-1940 : « Luxure et créatures gracieuses, corsetées et parfumées dans les aquarelles inédites d’Arthur Chaplin réalisées en 1888 ; les orgies dionysiaques dessinées avec fougue par Hildebrand ; excès et fantasmes d’écrivains, poètes et dandys, à la réputation sulfureuse qui ont pour noms : Jacques d’Adelswärd-Fersen, Jean Lorrain et Oscar Wilde ; ouvrages d’Andréa de Nerciat… ». Voilà qui donne envie ! On est loin du petit monde des « résistants » et des bas bleus ulcérés.

Après sa mésaventure, M. McCarthy, artiste académique, déclara forfait. Il cessait de vouloir explorer le… fondement des parisiens. Dégonflé un jour, dégonflé toujours ! Paris ne succombera pas au maccarthysme.

En guise de salutations aimables, nous lui dédions la très spirituelle réponse d’Isabelle Adjani, dans La journée de la jupe. À l’un de ses élèves, qui lui jette au visage : « Vas te faire enculer ! », puis répète son injure, elle réplique : « Oh non, deux fois, ce serait de la gourmandise ».



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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