Assistons-nous actuellement à des gesticulations de notre ministre de l’Intérieur, visant à faire oublier que la loi sur l’immigration a été repoussée à l’automne, par Elisabeth Borne, faute de majorité parlementaire? Ou à une réelle épreuve de force avec l’Union des Comores ? Analyse.
Le plan d’action anti-immigrants à Mayotte, annoncé par Gérald Darmanin à grands renforts médiatiques, prévoit de déloger des migrants illégaux des bidonvilles de Mayotte et d’expulser les sans-papiers – dont la plupart sont des Comoriens – vers l’île comorienne d’Anjouan, la plus proche, située à seulement 70 km.
Que l’État français réagisse enfin au capharnaüm mahorais est bien le minimum. L’île de Mayotte, à laquelle Nicolas Sarkozy a bien imprudemment accordé le statut de département français, est devenue une bombe à retardement sociale, économique et humaine. Il faut ici préciser qu’il n’était nul besoin de départementaliser l’île pour conserver le domaine public maritime français. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie, avec un statut juridique sui generis, fait profiter à notre pays d’une surface maritime supplémentaire de 1,5 millions de km2, soit près de trois fois la superficie de la métropole (sur un total de plus de 10 millions, le second domaine mondial après les États-Unis).
Quand le droit du sol se transforme en cauchemar migratoire
170 gendarmes stationnent déjà en permanence sur l’île, ce qui est un effectif bien maigre eu égard à sa superficie et son nombre d’habitants (374 km2 et plus ou moins 280 000 âmes). Le droit du sol, qui accorde la nationalité française à tout enfant né sur place à condition que l’un des parents réside depuis trois mois sur l’île (un projet envisage de passer à plus d’un an), reste une calamité en termes de peuplement allogène puisque l’on sait que la moitié de la population est étrangère. Le nombre d’étrangers en situation irrégulière est considérable.
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Inutile de dire que sur le plan financier, Mayotte est un gouffre. RSA, natalité incontrôlée, soins gratuits, rentabilité fiscale modeste et économie informelle annulent toute perspective de développement.
Que peut faire Gérald Darmanin?
Les obstacles sont nombreux à son projet. Le plus important est évidemment le refus de l’Union des Comores de recevoir ses ressortissants. De sorte que l’expulsion des citoyens comoriens vers l’île d’Anjouan, déjà sinistrée (80% de la forêt y a été coupée entre 1995 et 2014 et la plupart des fleuves y sont asséchés) est une vue de l’esprit. De plus, nous ne disposons même pas des bateaux nécessaires à l’opération.
Il faut ensuite rappeler la difficulté extrême rencontrée par les autorités françaises pour déterminer l’identité et l’origine des immigrants illégaux, pour beaucoup très jeunes quand ils ne sont pas carrément mineurs. En outre, de nombreux clandestins sont originaires de l’Afrique de l’Est, et pas des Comores. Autant dire qu’avec le droit français et les quelques juges sur place, la majorité des procédures sont vouées à l’échec. L’effectif du tribunal administratif de Mayotte est de 13 magistrats et cinq agents de greffe… Le fiasco de Toulon, en novembre 2022, lors du contrôle des 230 migrants de l’Ocean Viking, vite disparus dans la nature, peut donner une idée de ce qui risque de se passer.
Et pourtant, la France a les moyens de faire plier le président comorien, Azali Assoumani. Entre 2008 et 2017, ce sont pas moins de 74 millions d’euros qui auront été donnés par la seule Agence Française de Développement au pays ! Signé en juillet 2019, l’accord-cadre entre la France et les Comores prévoit par ailleurs 150 millions d’euros sur trois ans pour l’Union des Comores, en contrepartie d’une lutte contre le départ des ressortissants comoriens vers Mayotte. Notre pays pourrait, enfin, peser sur les financements internationaux. Le FMI a accordé 12 millions de dollars en avril 2020, et la Banque Mondiale vient de faire un don de 30 millions de dollars en février.
Au-delà de l’effet d’annonce d’un ministre de l’Intérieur chassant sur les terres du RN, l’opération n’a en réalité qu’un objectif : terroriser les illégaux en détruisant leur habitat. Mais, le tribunal administratif de Mayotte a déjà suspendu une opération d’expulsion… On ne peut craindre qu’une chose: qu’une fois l’opération réalisée et les renforts militaires et policiers repartis, la situation n’empire.
Elisabeth Lévy: « Mayotte est un cas d’école du fiasco de notre politique migratoire. Il ne s’agit plus d’insécurité mais de chaos, voire de terreur ! Les habitants de Mayotte sont Français, ils ont le droit à la protection de l’État. »
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